Fontenay
29 février 3019
« Hm ! Nous y voici ! dit Barbebois, rompant son long silence. Je vous ai portés sur environ soixante-dix mille foulées d’Ent, mais j’ignore ce que cela représente selon la mesure de votre pays. Toujours est-il que nous sommes aux racines de la Dernière Montagne. Une partie du nom de cet endroit pourrait se dire Fontenay, si on le traduisait dans votre langue. J’aime bien. Nous logerons ici cette nuit. » Il les déposa sur l’herbe entre les rangées d’arbres, et les hobbits le suivirent vers la grande arche. Ils remarquèrent alors que ses genoux se pliaient à peine tandis qu’il marchait ; mais ses jambes s’ouvraient en une longue foulée. Ses grands orteils (et ils étaient certes énormes, mais aussi très larges) se plantaient dans le sol avant toute autre partie de son pied.
Pendant un moment, Barbebois se tint sous la pluie de la chute, respirant profondément ; puis il rit et passa à l’intérieur. Une grande table de pierre se trouvait là, mais il n’y avait pas de chaises. Au fond de l’alcôve, il faisait déjà bien sombre. Barbebois prit deux grands vaisseaux et les déposa sur la table. Ils semblaient remplis d’eau ; mais lorsqu’il plaça ses mains au-dessus, ils se mirent aussitôt à luire, le premier d’un éclat doré, l’autre d’une riche lueur verte ; et le mélange de lumières éclaira l’alcôve, comme un soleil d’été à travers une voûte de jeunes feuilles. Se retournant, les hobbits virent que les arbres dans la cour avaient eux aussi commencé à luire, faiblement au début, mais avec une ardeur croissante, jusqu’à ce que chaque feuille fût bordée de lumière : verte pour certaines, dorée pour d’autres, ou encore d’un rouge cuivré ; tandis que leurs fûts ressemblaient à des colonnes sculptées dans du roc lumineux.
« Bien, bien, nous pouvons continuer à bavarder, à présent, dit Barbebois. Vous avez soif, je présume. Peut-être êtes-vous fatigués également. Buvez ceci ! » Il se rendit au fond de l’alcôve, et ils virent alors que plusieurs jarres de pierre étaient posées à cet endroit, hautes, munies de lourds couvercles. Découvrant l’un des récipients, il y plongea une énorme louche ; puis il remplit trois bols, dont un très grand et deux autres plus petits.
« Ceci est une maison d’Ent, dit-il, et il n’y a pas de sièges, hélas. Mais vous pouvez vous asseoir sur la table. » Soulevant les hobbits, il les installa sur la grande dalle de pierre, à six pieds au-dessus du sol : ils s’y assirent, balançant leurs jambes dans le vide et sirotant leur boisson.
Cette boisson était semblable à de l’eau, très semblable, en fait, à l’eau qu’ils avaient bue dans l’Entévière près de l’orée ; pourtant, elle avait un parfum ou une saveur qu’ils ne parvenaient pas à définir, très subtile, mais qui leur rappelait l’odeur d’un bois lointain portée par une fraîche brise nocturne. L’effet du breuvage commençait aux orteils et montait peu à peu dans chaque membre, redonnant fraîcheur et vitalité dans sa course vers le haut, jusqu’à l’extrémité des cheveux. Les hobbits sentirent d’ailleurs leur chevelure se dresser sur leur tête et se mettre à onduler, à friser et à pousser. Barbebois, quant à lui, se lava d’abord les pieds dans le bassin situé sous l’arche, puis il vida son bol d’un seul trait, long et lent. Les hobbits crurent qu’il ne s’arrêterait jamais de boire.
Enfin, il posa son bol. « Ah – ah, fit-il. Hm, houm, maintenant, nous serons plus à l’aise pour bavarder. Vous pouvez vous asseoir par terre, et je vais m’étendre : cela empêchera cette boisson de me monter à la tête et de m’endormir. »