Demeure de Tom Bombadil

27 septembre 3018

grimoire

Ils s’éveillèrent, tous les quatre en même temps, dans la lumière du matin. Tom s’affairait dans la pièce, sifflant comme un étourneau. Lorsqu’il les entendit remuer, il claqua des mains et s’écria : « Ohé ! Venez gai dol ! joli dol ! Mes lurons ! » Il tira les rideaux jaunes qui cachaient des fenêtres aux deux extrémités de la pièce : l’une donnant sur l’est, l’autre sur l’ouest.

Ils se levèrent d’un bond, revigorés. Frodo courut à la fenêtre sur l’est, et se trouva regarder dans un jardin potager gris de rosée. Il se serait plutôt attendu à une pelouse grimpant jusqu’aux murs, une pelouse trouée d’empreintes de sabots. En fait, la vue était masquée par une haute rangée de haricots sur des échalas ; mais au-dessus de celle-ci et dans le lointain, la couronne grise de la colline se découpait sur le lever du jour. C’était une aube blafarde : à l’est, de longs nuages semblables à des fils de laine souillée, aux bords tachés de rouge, nageaient dans des profondeurs d’un jaune chatoyant. Le ciel annonçait de la pluie ; mais la lumière croissait rapidement, et les fleurs des haricots commençaient à rougeoyer sur le feuillage vert et humide.

Pippin, regardant par la fenêtre sur l’ouest, plongea les yeux dans un étang de brume. La Forêt était cachée sous un épais brouillard. C’était comme s’il regardait, du dessus, un plafond de nuages en pente. Il y avait une sorte de repli ou fossé où la brume formait de nombreux panaches et tourbillons : la vallée de l’Oserondule. Le cours d’eau dévalait la colline à gauche et disparaissait dans l’ombre blanche. Plus près de la maison se trouvaient un jardin de fleurs et une haie soigneusement taillée, parcourue de fils d’argent ; au-delà s’étendait de l’herbe rase et grise où perlait une pâle rosée. Il n’y avait aucun saule en vue.

« Bonjour, joyeux amis ! » s’écria Tom, ouvrant toute grande la fenêtre à l’est. Une brise fraîche entra ; elle avait une odeur de pluie. « Soleil ne se montrera pas beaucoup aujourd’hui, je pense. Au loin j’ai marché, sur le dos des collines, depuis le point l’aube grise, sentant le vent, flairant le temps, l’herbe humide à mes pieds, le ciel lourd sur ma tête. Baie-d’or j’ai réveillée, chantant à sa fenêtre ; mais rien n’éveille les petites gens au tout petit matin. Les hobbits se réveillent la nuit au milieu des ténèbres, et dorment quand il fait jour ! Dire-lire-leau ! Éveillez-vous, mes joyeux amis ! Oubliez les bruits nocturnes ! Dire-lire-del ! joli del, mes lurels ! Si vous faites vite, vous trouverez une table bien garnie. Si vous tardez, vous aurez de l’herbe et de l’eau de pluie ! »

Inutile de dire que les hobbits – non que la menace de Tom leur parût très sérieuse – firent vite, et tardèrent à quitter la table, qui semblait plutôt vide une fois qu’ils eurent terminé. Ni Tom, ni Baie-d’or n’y étaient. La rumeur de Tom allait et venait dans la maison, s’agitant avec fracas dans la cuisine, montant et descendant l’escalier, et chantant de-ci de-là à l’extérieur. La pièce regardait à l’ouest, vers la vallée tout enveloppée de brume, et la fenêtre était ouverte. Au-dessus d’elle, de l’eau dégouttait de l’avant-toit de chaume. Ils n’avaient pas encore terminé leur petit déjeuner que les nuages s’étaient rassemblés en un plafond uni ; et une pluie grise et droite se mit à tomber doucement et sans discontinuer. La Forêt était entièrement voilée derrière son épais rideau.

Tandis qu’ils regardaient par la fenêtre, la voix claire de Baie-d’or chantant loin au-dessus d’eux vint ruisseler à leurs oreilles comme l’averse. Peu de mots leur parvenaient clairement, mais ils surent que sa chanson était une chanson de pluie, aussi douce que l’ondée sur la colline desséchée, retraçant l’histoire d’une rivière depuis la source des hautes terres jusqu’à la Mer loin en aval. Les hobbits l’écoutèrent avec ravissement ; et Frodo eut le cœur content, remerciant le ciel de cette faveur qui retardait leur départ. L’idée de devoir partir lui pesait depuis son réveil ; mais il se doutait bien, à présent, qu’ils n’iraient pas plus loin ce jour-là.


Un vent d’en haut s’installa à l’ouest et leur envoya des nuages plus épais et plus humides qui déchargèrent leurs trombes d’eau sur les têtes dénudées des Coteaux. Tout autour de la maison, rien ne se voyait que la pluie qui tombait. Frodo se tint près de la porte ouverte et regarda le sentier crayeux se transformer en une rigole de lait qui partait mousser dans la vallée. Tom Bombadil tourna rapidement le coin de la maison, agitant les bras comme pour se garder de la pluie ; et quand d’ailleurs il vint à sauter le pas de la porte, il semblait tout à fait sec – à l’exception de ses bottes, qu’il enleva et déposa au coin de la cheminée. Puis il prit place dans le plus grand fauteuil et appela les hobbits à s’approcher.

« C’est jour de lessive pour Baie-d’or, dit-il, et son ménage d’automne. Trop pluvieux pour des hobbits : qu’ils se reposent tant qu’ils le peuvent ! Ce jour est propice aux longs récits, aux questions et aux réponses, ainsi Tom va commencer. »

Il leur raconta alors maintes histoires remarquables, parfois presque comme s’il se parlait à lui-même, parfois en fixant tout à coup sur eux un œil bleu et brillant sous des sourcils saillants. Souvent sa voix se muait en chanson, et il se levait de son fauteuil pour danser de côté et d’autre. Il leur contait des histoires d’abeilles et de fleurs, leur parlait des usages des arbres et des étranges créatures de la Forêt, de choses mauvaises et de choses bonnes, de choses amies et ennemies, cruelles ou bienveillantes, et des secrets cachés sous les ronces.

À mesure qu’ils écoutaient, ils comprirent peu à peu les vies de la Forêt, autres que les leurs, au point de se sentir eux-mêmes étrangers là où toutes les autres choses étaient chez elles. Vieil Homme-Saule revenait sans cesse dans son discours, et Frodo en sut alors assez à son goût, plus qu’assez, en fait, car ce savoir n’avait rien de rassurant. Les mots de Tom mettaient à nu les cœurs des arbres et leurs pensées, souvent étranges et noires, et remplies de haine à l’endroit de ceux qui vont librement sur la terre, rongeant, mordant, brisant, brûlant et tailladant : des destructeurs et des usurpateurs. Si on l’appelait la Vieille Forêt, ce n’était pas sans raison, car elle était véritablement ancienne, vestige de vastes forêts oubliées ; et en ce lieu vivaient encore, n’ayant vieilli plus vite que les collines mêmes, les pères des pères des arbres, nostalgiques du temps où ils régnaient en maîtres. Les années innombrables les avaient remplis d’orgueil, d’une sagesse bien enracinée, et aussi de méchanceté. Mais nul n’était plus dangereux que le Grand Saule : son cœur était pourri, mais sa force était verte ; et il était maître des vents, et rusé, et son chant et sa pensée parcouraient les bois des deux côtés de la rivière. Son esprit gris et assoiffé, tirant son pouvoir de la terre, s’était répandu dans le sol comme par de minces filaments-racines, et dans les airs par de longs et invisibles doigts-ramilles, jusqu’à ce que tous les arbres de la Forêt, ou presque, fussent sous son empire, de la Haie aux Coteaux.

Soudain, les paroles de Tom laissèrent les bois et s’en furent remonter le jeune cours d’eau, sauter les chutes d’eau bouillonnantes, gambader sur les cailloux et les rochers usés, et parmi les fleurs menues, dans l’herbe serrée et les fissures humides, pour aboutir enfin au flanc des Coteaux. Ils eurent vent des Grands Tertres et des monticules verts, et des anneaux de pierre sur les collines, et dans les creux parmi les collines. Des moutons bêlaient en troupeaux. Des murs verts s’élevaient et des murailles blanches. Il y avait des forteresses sur les hauteurs. Des rois de petits royaumes se battaient entre eux, et le jeune Soleil flamboyait sur le métal rouge de leurs épées neuves aux lames assoiffées. Il y eut des victoires et des défaites ; des tours tombèrent, des forteresses furent incendiées, et des flammes montèrent dans le ciel. L’or fut amoncelé sur les catafalques de rois et de reines morts ; des monticules furent érigés et les portes de pierre refermées ; et l’herbe recouvrit tout. Les moutons vinrent brouter l’herbe pour un temps, mais bientôt, les collines furent de nouveau vides. Une ombre surgit de contrées obscures et lointaines, et les ossements furent dérangés sous les monticules. Des Esprits des Tertres hantèrent les endroits creux avec un tintement d’anneaux sur des doigts glacials, et de chaînes d’or au vent. Des cercles de pierres levées grimaçaient comme des bouches édentées dans le clair de lune.

Les hobbits frissonnèrent. Même dans le Comté, on avait entendu la rumeur des Esprits des Tertres sur les Coteaux par-delà la Forêt. Mais ce n’était pas le genre d’histoire qu’un hobbit aimait à se faire raconter, même au coin du feu, loin de tout danger. Quatre d’entre eux se rappelèrent soudain ce que les délices de cette maison avaient chassé de leur esprit : la demeure de Tom Bombadil était nichée sous les contreforts de ces collines si redoutées. Ils perdirent le fil de son discours, remuant mal à l’aise dans leur fauteuil, et échangeant des regards inquiets.

Quand ils se raccrochèrent à ses mots, ils s’aperçurent que Tom s’était aventuré dans d’étranges régions, au-delà de leur mémoire et de leur conscience, en des temps où le monde était plus vaste, et où les mers s’étendaient en droite ligne jusqu’au Rivage occidental ; et toujours remontant les époques, Tom s’en fut chanter à la lumière d’étoiles anciennes, quand seuls les pères des Elfes étaient éveillés. Puis il s’arrêta soudain, et ils virent que sa tête tombait comme s’il allait s’assoupir. Les hobbits restèrent saisis d’enchantement ; et l’on eût dit que, sous le charme de ses mots, le vent s’était tu et que les nuages s’étaient taris ; que le jour avait fait défaut, que l’obscurité était montée de l’est et de l’ouest, et que tout le ciel s’était constellé d’étoiles blanches.


Frodo n’aurait su dire s’il avait vu passer le matin et le soir d’une seule journée ou de plusieurs jours. Il ne ressentait aucune faim ni aucune fatigue, seulement de l’émerveillement. Les étoiles brillaient à travers la fenêtre et le silence des cieux semblait l’entourer. Il parla enfin, mû par son émerveillement et une peur soudaine de ce silence :

« Qui êtes-vous, Maître ? » demanda-t-il.

« Hein, quoi ? » dit Tom en se redressant ; et dans la pénombre, ses yeux étincelèrent. « Tu ne connais pas encore mon nom ? C’est la seule réponse. Dis-moi, qui es-tu, toi tout seul, sans le nom qui te nomme ? Mais tu es jeune et je suis vieux. L’Aîné, voilà ce que je suis. Croyez-m’en, mes amis : Tom était ici avant la rivière et les arbres ; Tom se souvient de la première goutte de pluie et du premier gland. Il traçait des sentiers avant les Grandes Gens et a vu les Petites Gens arriver. Il était ici avant les Rois, et les tombeaux, et les Esprits des Tertres. Quand les Elfes ont passé dans l’Ouest, Tom était déjà ici, avant que les mers soient fléchies. Il a connu les ténèbres sous les étoiles, alors qu’elles ne contenaient aucune peur – avant que le Seigneur Sombre vienne de l’Extérieur. »

Une ombre sembla passer près de la fenêtre, et les hobbits regardèrent vivement à travers les carreaux. Lorsqu’ils détournèrent le regard, ils virent que Baie-d’or se tenait à la porte, encadrée de lumière. Elle tenait une bougie et, pour éviter les courants d’air, protégeait sa flamme d’une main : la lumière filtrait au travers comme le soleil à travers un coquillage blanc.

« La pluie a cessé, dit-elle, et de nouvelles eaux ruissellent sur les collines, sous les étoiles. Maintenant, c’est l’heure de rire et de nous réjouir ! »

« Et c’est l’heure de manger et de boire ! s’écria Tom. Les longues histoires assoiffent. Et les longues écoutes affament, matin, midi et soir ! » Sur ce, il sauta de son siège et, d’un bond, saisit une bougie sur le manteau de la cheminée et l’alluma avec la flamme de Baie-d’or ; puis il dansa autour de la table. Soudain il gambada jusqu’à la porte et disparut.

Il revint bientôt avec un grand plateau chargé. Puis, Tom et Baie-d’or mirent la table ; et les hobbits restèrent assis à les regarder, mi-émerveillés, mi-rieurs, tant la grâce de Baie-d’or était envoûtante et les cabrioles de Tom, enjouées et étranges. Et pourtant, d’une certaine façon, ils semblaient suivre une seule et même danse, sans que l’un ne nuise jamais à l’autre, entrant et sortant de la pièce, s’affairant autour de la table ; et très vite, vaisselle et nourriture furent disposées sur la table, éclairée de bougies blanches et jaunes. Tom s’inclina devant ses invités. « Le souper est prêt », dit Baie-d’or ; alors les hobbits virent qu’elle était toute d’argent vêtue, portant ceinture blanche à sa taille, et des chaussures semblables à des écailles de poisson. Mais Tom était de bleu immaculé, bleu comme des ne-m’oubliez-pas lavés par la pluie, et il portait des bas verts.


Le souper fut encore meilleur que celui de la veille. Sous le charme des mots de Tom, les hobbits avaient peut-être sauté un ou plusieurs repas ; mais quand la nourriture leur fut servie, il leur sembla qu’ils n’avaient rien mangé depuis au moins une semaine. Ainsi, pour un certain temps, ils ne chantèrent pas et parlèrent à peine, se concentrant sur ce qu’ils avaient à faire. Mais au bout d’un moment, ils retrouvèrent tout leur entrain et leur vivacité, et leurs voix résonnèrent dans la gaieté et le rire.

Quand ils eurent fini de manger, Baie-d’or chanta pour eux de nombreuses chansons, chansons qui naissaient joyeusement dans les collines et retombaient doucement dans le silence ; et au creux de ces silences, se déployaient dans leur esprit des mares et des eaux plus vastes qu’ils n’en avaient jamais connu, et regardant en leur sein ils voyaient le ciel se mirer sous eux, et les étoiles gisant dans les profondeurs telles des gemmes. Alors Baie-d’or leur souhaita de nouveau une bonne nuit et les laissa au coin du feu. Mais Tom semblait à présent tout à fait éveillé, et il les pressa de questions.

Il semblait en connaître déjà un long bout sur eux tous et sur leurs familles ; en fait, il semblait connaître une bonne partie de l’histoire et des faits du Comté, jusqu’à une époque reculée dont les hobbits eux-mêmes avaient à peine souvenance. Pareille chose ne les étonnait plus ; mais Tom ne leur cacha pas qu’il tenait la plupart des récentes nouvelles du fermier Magotte, à qu’il semblait accorder plus d’importance qu’ils ne l’auraient cru. « Il y a de la terre sous ses vieux pieds et de la glaise sur ses doigts ; de la sagesse dans ses os, et ses deux yeux sont ouverts », dit Tom. En outre, il apparaissait que Tom avait commerce avec les Elfes, et que des nouvelles de Gildor lui étaient parvenues d’une quelconque manière, annonçant la fuite de Frodo.

En fait, Tom était si bien informé, et ses questions étaient si pénétrantes que Frodo se trouva à lui parler de Bilbo, mais aussi de ses propres espoirs et craintes, plus librement qu’il ne l’avait jamais fait, même avec Gandalf. Tom hochait la tête en signe d’assentiment ; et ses yeux étincelèrent à la mention des Cavaliers.

« Montre-moi le précieux Anneau ! » dit-il soudain au beau milieu de l’histoire ; et à son grand étonnement, Frodo se vit sortir la chaîne de sa poche, détacher l’Anneau et le remettre aussitôt à Tom.

Il sembla grossir, tandis que celui-ci le gardait un instant dans sa large paume brune. Puis, Tom le porta à son œil et rit. Le temps d’une seconde, les hobbits eurent une vision à la fois comique et affolante : celle de son œil bleu jetant de brillants reflets au milieu d’un cercle d’or. Puis, Tom passa l’anneau au bout de son petit doigt et le tint dans la lumière des bougies. Pendant un moment, les hobbits ne remarquèrent rien d’étrange. Puis ils étouffèrent un cri. Tom n’avait aucunement disparu !

Tom rit de nouveau, puis il fit virevolter l’Anneau dans l’air – et l’Anneau disparut. Frodo poussa un cri ; mais Tom se pencha en avant et lui remit l’Anneau avec un sourire.

Frodo l’examina avec attention, mais aussi avec méfiance (comme quelqu’un qui aurait prêté un colifichet à un illusionniste). C’était le même Anneau, ou un de même aspect et de même poids ; car cet Anneau, tenu dans le creux de la main, lui avait toujours paru étrangement lourd. Mais quelque chose incita Frodo à s’en assurer. Il était sans doute un rien agacé de voir que Tom faisait si peu de cas de ce que Gandalf lui-même considérait comme un péril des plus graves. Il attendit le moment opportun, lorsque la discussion eut repris et que Tom se fut lancé dans une histoire absurde concernant les blaireaux et leurs étranges usages ; puis il passa l’Anneau à son doigt.

Merry se tourna vers Frodo pour lui dire quelque chose ; il sursauta et retint un cri de surprise. Frodo fut ravi (d’une certaine manière) : c’était bien son anneau à lui, car Merry regardait son fauteuil d’un air ébahi et n’y voyait manifestement personne. Il se leva et, s’éloignant du feu à pas furtifs, se dirigea vers la porte d’entrée.

« Hé, là ! cria Tom, jetant un regard des plus clairvoyants en sa direction. Hé, Frodo ! Où t’en vas-tu ? Le vieux Tom Bombadil n’est pas encore aveugle à ce point. Retire ton anneau d’or ! Ta main est plus belle sans lui. Reviens ! Laisse ton petit jeu et assieds-toi près de moi ! Il nous faut encore discuter, et songer à demain. Tom doit guider vos pas, et enseigner le bon chemin. »

Frodo rit (s’efforçant d’être gai), puis, retirant l’Anneau, il revint s’asseoir. Tom leur dit à présent qu’il croyait que le Soleil brillerait demain, que la matinée serait joyeuse et le départ prometteur. Mais ils feraient bien de partir de bonne heure ; car s’il était dans ce pays une chose dont Tom lui-même ne pouvait longtemps être sûr, c’était le temps, qui parfois changeait plus vite que lui-même pouvait changer de veste. « Je ne suis pas maître du temps qu’il fait, dit-il, non plus que rien qui va sur deux pattes. »

Sur son conseil, ils décidèrent de partir presque plein nord depuis sa maison, suivant les pentes basses à l’ouest des Coteaux : de cette façon, ils pouvaient espérer atteindre la Route de l’Est en une journée, et éviter les Tertres. Il leur dit de ne pas avoir peur – mais de se mêler de leurs affaires.

« Restez sur l’herbe verte. N’allez pas vous mêler aux vieilles pierres et aux Esprits froids, ou mettre le nez dans leurs demeures, à moins d’être des gens solides et au cœur intrépide ! » Il le leur répéta plus d’une fois, et leur conseilla de toujours passer les tertres funéraires du côté ouest, si d’aventure ils venaient à en croiser. Puis il leur montra une comptine à chanter, si par malchance ils rencontraient quelque danger ou difficulté le lendemain.

Holà ! Tom Bombadil ! Ho ! Tom Bombadilo !
Par les eaux ou les bois, le saule ou le roseau,
De jour comme de nuit, prête-nous assistance !
Accours, Tom Bombadil : le besoin nous devance !

Quand ils l’eurent chantée au long après lui, il leur donna à chacun une tape sur l’épaule avec un rire, et, saisissant des bougies, les raccompagna à leur chambre.

J.R.R. Tolkien