Chemin du Bac de Châteaubouc
25 septembre 3018
Ils parvinrent enfin au chemin du Bac. L’entrée était marquée par deux grands poteaux blancs qui apparurent tout à coup sur leur droite. Le fermier Magotte tira sur les guides et le chariot s’arrêta avec un crissement. Ils s’apprêtaient à descendre quand, soudain, ils entendirent ce que chacun d’entre eux redoutait : des claquements de sabots sur la route devant eux. Le son approchait.
Magotte descendit d’un bond et tint ses poneys par la bride tout en essayant de percer les ténèbres. Clip-clop, clip-clop, faisait le cavalier qui approchait. Le claquement des sabots était assourdissant dans l’air immobile et brumeux.
« Vous devriez vous cacher, monsieur Frodo, dit Sam d’une voix anxieuse. Couchez-vous au fond du chariot, sous des couvertures, et on va renvoyer ce cavalier d’où il vient ! » Il descendit à son tour et alla rejoindre le fermier. Les Cavaliers Noirs devraient lui passer sur le corps pour s’approcher du chariot.
Clop-clop, clop-clop. Le cavalier les rejoignait, à présent.
« Qui va là ? » appela le fermier Magotte. Le bruit des sabots s’arrêta net. Ils crurent deviner une forme à travers la brume, une forme enveloppée dans une cape sombre à quelques pieds devant.
« Bon ! dit le fermier, lançant les guides à Sam et s’avançant à grands pas. N’approchez plus ! Où allez-vous et que cherchez-vous ? »
« Je cherche M. Bessac. L’avez-vous vu ? » dit une voix assourdie – mais la voix était celle de Merry Brandibouc. Une lanterne fut découverte, et sa lumière éclaira le visage ahuri du fermier.
« Monsieur Merry ! » s’écria-t-il.
« Mais oui, bien sûr ! Qui croyiez-vous que c’était ? » dit Merry en s’approchant. Tandis qu’il sortait du brouillard et que leurs craintes s’apaisaient, il parut retrouver soudain sa taille normale de hobbit. Il chevauchait un poney, et un foulard passé autour de son cou et de son menton le protégeait de la brume.
Frodo sauta à bas du chariot pour l’accueillir. « Ainsi vous voilà enfin ! dit Merry. Je commençais à désespérer de vous voir arriver aujourd’hui, et j’étais sur le point de rentrer souper. Quand la brume s’est levée, j’ai traversé et je suis monté vers Estoc pour m’assurer que vous n’étiez pas tombés dans quelque fossé. Mais je me demande bien par quel chemin vous êtes passés. Où les avez-vous trouvés, monsieur Magotte ? Dans votre mare aux canards ? »
« Non, je les ai surpris sur ma propriété, dit le fermier, et j’ai failli lancer mes chiens après eux ; mais ils vous raconteront toute l’histoire, j’en suis sûr. Maintenant, si vous permettez, monsieur Merry, monsieur Frodo et vous tous, je ferais mieux de rentrer chez moi. Mme Magotte va se turlupiner, avec la nuit qui avance. »
Il recula son chariot dans le chemin et le tourna de bord. « Eh bien, bonsoir à vous tous, dit-il. C’est une drôle de journée qui se termine, y a pas d’erreur. Mais tout est bien qui finit bien – quoiqu’on devrait peut-être pas dire ça avant d’être chacun chez soi. Je vous cacherai pas que je serai content d’arriver à l’heure qu’il est. » Il alluma ses lanternes et remonta à bord. Tout à coup, il sortit un grand panier placé sous le siège. « J’allais presque oublier, dit-il. Mme Magotte a laissé ça pour M. Bessac, avec ses compliments. » Il leur tendit le panier et s’éloigna, suivi d’un chœur de remerciements et de bonsoirs.
Ils regardèrent les pâles anneaux lumineux de ses lanternes s’éloigner dans la nuit brumeuse. Soudain, Frodo se mit à rire : du panier couvert qu’il tenait à la main montait une odeur de champignons.