Gorge de Helm
4 mars 3019
Il y eut un grondement et un jaillissement de flammes. La voûte d’entrée, sur laquelle il se tenait un moment auparavant, s’écroula en un nuage de fumée et de poussière. La barricade fut dispersée comme par la foudre. Aragorn courut à la tour du roi.
Mais alors même que la porte tombait sous les acclamations des Orques prêts à charger, un murmure s’éleva derrière eux comme un vent lointain ; et bientôt, il culmina dans une clameur de voix portant d’étranges nouvelles sous les feux de l’aurore. Les Orques sur le Rocher, entendant la rumeur de consternation, vacillèrent et se retournèrent. Alors retentit, soudain et terrible, du haut de la tour le grand cor de Helm.
Tous ceux qui entendirent ce son en tremblèrent. De nombreux Orques se jetèrent face contre terre et se couvrirent les oreilles de leurs griffes. Les échos montaient, sans cesse répétés, du fond de la Gorge, comme si sur chaque colline, chaque falaise, se tenait un puissant héraut. Mais sur les murs, les hommes levèrent la tête, écoutant avec stupéfaction ; car les échos ne mouraient pas. Les appels ne cessaient de revenir parmi les collines : plus proches, ils se répondaient l’un l’autre, librement, forts et fiers.
« Helm ! Helm ! crièrent les Cavaliers. Helm se lève et repart en guerre. Helm au secours de Théoden Roi ! »
Et sur ce cri, le roi s’avança. Son cheval était blanc comme neige, son bouclier était d’or, longue était sa lance. À sa main droite venait Aragorn, l’héritier d’Elendil, et à sa suite, les seigneurs de la Maison d’Eorl le Jeune. La lumière jaillit dans le ciel. La nuit se retira.
« Forth Eorlingas ! » Ils chargèrent avec cris et fracas. Grondants, ils descendirent des portes, traversèrent la chaussée en trombe, et fendirent à travers les armées d’Isengard comme le vent sur la plaine. Derrière eux, du fond de la Gorge, montèrent les cris farouches de guerriers sortant des grottes, repoussant l’ennemi. Tous les hommes restés sur le Rocher se déversèrent sur le champ de bataille. Et toujours la sonnerie des cors retentissait dans les collines.
En avant, le roi et ses compagnons chevauchaient. Champions et capitaines tombaient ou fuyaient devant eux. Ni orque, ni homme ne leur résistait. Ils tournaient le dos aux épées et aux lances des Cavaliers, et le front vers la vallée. Ils poussaient des cris et des plaintes, car la peur et une grande stupéfaction les avaient saisis en même temps que le lever du jour.
C’est ainsi que le roi Théoden franchit la Porte de Helm et s’ouvrit un chemin jusqu’au grand Fossé. Là, sa compagnie s’arrêta. La lumière grandit autour d’eux. Des rayons de soleil jaillirent au-dessus des collines de l’est et enflammèrent leurs lances. Mais ils se tinrent silencieux sur leurs montures, plongeant le regard dans la Combe de la Gorge.
Le pays avait changé. Là où s’étendait naguère une vallée verdoyante aux pentes herbeuses léchant les collines en escalier, se dressait à présent une forêt. De grands arbres dénudés et silencieux s’alignaient en rangs, bras emmêlés et tête chenue, leurs racines tordues plantées dans l’herbe longue et verte. Sous eux, les ténèbres régnaient. Entre le Fossé et l’orée de ce bois sans nom ne s’étendaient que deux furlongs. C’est là que tremblaient à présent les fières armées de Saruman, entre la terreur du roi et celle des arbres. Les assaillants refluèrent de la Porte de Helm jusqu’à ce que tout l’espace au-delà du Fossé en fût complètement vidé ; mais en deçà, ils s’entassaient comme un essaim de mouches. On les voyait grimper et ramper vainement le long des murs de la combe, cherchant une issue. Du côté est, le flanc de la vallée était trop abrupt et pierreux ; tandis qu’à l’ouest, sur la gauche, leur ruine approchait.
Là, sur une crête, apparut soudain un cavalier vêtu de blanc : il resplendissait dans le soleil levant. Sur les basses collines, les cors sonnaient. Derrière lui, dévalant par les longues pentes, venait un millier d’hommes à pied, l’épée à la main. Parmi eux s’avançait un homme, grand et fort. Son bouclier était rouge. Arrivant au bord de la vallée, il porta à ses lèvres un grand cor noir et fit retentir une éclatante sonnerie.
« Erkenbrand ! crièrent les Cavaliers. Erkenbrand ! »
« Voyez le Cavalier Blanc ! s’exclama Aragorn. Gandalf est de retour ! »
« Mithrandir, Mithrandir ! dit Legolas. Voilà assurément de la magie ! Allons ! J’aimerais observer cette forêt, avant que le sortilège ne change. »
Les armées d’Isengard rugissaient, oscillant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, ne sachant plus quelle peur affronter. Le cor sonna de nouveau dans la tour. La compagnie du roi chargea par la brèche du Fossé. Du haut des collines bondit Erkenbrand, seigneur de l’Ouestfolde. Scadufax s’élança d’une démarche sûre, comme un cerf courant dans les montagnes. Le Cavalier Blanc fondit sur ses adversaires, et la terreur de sa venue les emplit de folie. Les hommes sauvages tombaient à plat ventre devant lui. Les Orques couraient chancelants, poussant des cris aigus, jetant épées et lances. Ils fuirent comme une fumée noire chassée par un vent impétueux. Gémissants, ils passèrent dans l’ombre patiente des arbres ; et de cette ombre, aucun ne devait jamais ressortir.