Fuite vers le Gué
18 octobre 3018
Tandis que parlait Glorfindel, les ombres du soir s’épaississaient. Frodo sentit une grande fatigue l’envahir. Depuis que le soleil avait commencé à descendre, la brume qui voilait son regard s’était assombrie, et il sentait qu’une ombre s’interposait entre lui et le visage de ses amis. La douleur l’assaillait à présent, et une vive sensation de froid. Chancelant, il s’agrippa au bras de Sam.
« Mon maître est blessé et malade, dit Sam avec colère. Il peut pas continuer à chevaucher toute la nuit. Il a besoin de se reposer. »
Glorfindel saisit Frodo au moment où celui-ci s’effondrait. Il le prit doucement dans ses bras et scruta son visage d’un air profondément anxieux.
L’Arpenteur raconta brièvement l’attaque de leur campement à l’ombre de Montauvent, et la découverte du poignard mortel. Il sortit le manche, qu’il avait gardé, et le tendit à l’Elfe. Glorfindel frissonna en le prenant, mais il l’examina avec attention.
« Des signes maléfiques sont inscrits sur ce manche, dit-il ; quoique vos yeux ne puissent peut-être les voir. Conservez-le, Aragorn, jusqu’à ce que nous atteignions la maison d’Elrond ! Mais méfiez-vous, et abstenez-vous autant que faire se peut de le manipuler ! Hélas ! les blessures infligées par cette arme sont au-delà de mes pouvoirs de guérison. Je vais faire tout mon possible – mais je vous engage d’autant plus à partir dès maintenant, sans vous reposer. »
Ses doigts explorèrent la blessure qui glaçait l’épaule de Frodo, et il prit un air plus grave encore, comme troublé par ce qu’il venait d’apprendre. Mais Frodo sentit le froid diminuer dans son bras et dans son côté : une faible chaleur se diffusa de son épaule à sa main, et la douleur se calma un peu. La pénombre du soir parut s’éclaircir autour de lui, comme si un nuage venait de se dissiper. Il distinguait plus nettement la figure de ses amis, et se sentit porté, dans une certaine mesure, par un nouvel espoir et par de nouvelles forces.
« Tu iras sur mon cheval, dit Glorfindel. Je vais raccourcir les étriers jusqu’au bord de la selle, et tu devras t’y asseoir en serrant les jambes le plus possible. Mais ne crains rien : mon cheval ne laissera tomber aucun cavalier que je lui enjoins de porter. Son pas est léger et souple ; et si le danger nous presse de trop près, il t’emmènera à une vitesse que même les coursiers noirs de l’ennemi ne sauraient égaler. »
« Non, il ne fera pas ça ! dit Frodo. Je ne le monterai pas, s’il doit m’emporter à Fendeval ou ailleurs pendant que mes amis restent derrière, exposés au danger. »
Glorfindel sourit. « Je ne crois pas que tes amis seraient en danger, dit-il, si tu n’étais pas avec eux ! L’ennemi te talonnerait et nous laisserait en paix, je pense. C’est toi, Frodo, et ce que tu portes, qui nous mettez tous en péril. »
À cela, Frodo ne put rien répondre, et on le persuada de monter le cheval blanc de Glorfindel. En échange, le poney reçut une bonne partie du fardeau des autres. Ils marchèrent alors plus légèrement et, pour un temps, allèrent bon train ; mais les hobbits trouvèrent bientôt difficile de suivre le pas vif et infatigable de l’Elfe. Il les mena loin, dans la gueule des ténèbres, et plus loin encore, au cœur d’une nuit sombre et nuageuse. Il n’y avait ni étoile, ni lune. Il ne leur permit pas de faire halte avant la grisaille de l’aube. Alors Pippin, Merry et Sam dormaient presque sur leurs jambes titubantes ; même l’Arpenteur avait les épaules affaissées et semblait fatigué. Frodo, sur sa monture, était plongé dans un sombre rêve.