Peuples et langages

Adolescent, Tolkien portait une attention toute particulière à l'étude des langues. Découvrant le Gothique, il s'essaya à l'élaboration de dialectes.

L'été 1911, Tolkien rencontra Joseph Wright, professeur de philologie comparée. Influencé par le Finnois, il fit une première ébauche d'un langage qu'il nomma le Quenya . Mais plus il peaufinait sa langue, plus il ressentait le besoin de lui inventer un peuple et une histoire de sorte qu'elle prît vie.

Arda foisonnait de créatures intrigantes. Dans cette rubrique, nous nous attarderons sur les peuples ayant joué un rôle déterminant au cours des âges ; ceux qui ont façonné le monde et dont le destin fut lié jusqu'à la nuit des temps.

Voici la liste de ces peuples tels qu'ils furent nommés dans la langue du commun.

Elfes

Les Elfes, à une époque reculée des Jours Anciens, se trouvèrent divisés en deux branches principales : les Elfes de l’Ouest (les Eldar ) et ceux de l’Est. La plupart des Elfes de Grand’Peur et de Lórien étaient de cette dernière souche ; mais leurs langues ne figurent pas dans ce récit, où tous les mots et les noms elfiques sont de forme eldarine .

Les langues eldarines figurant dans ces pages sont au nombre de deux : le haut-elfique ou quenya , et le gris-elfique ou sindarin . Le haut-elfique était une langue ancienne, parlée à Eldamar au-delà de la Mer, la première à avoir été consignée par écrit. Elle n’était plus usitée comme langue maternelle, étant devenue, si l’on peut dire, une sorte de « latin elfique », réservée aux cérémonies et aux sujets plus nobles (en matière de chant et de savoir traditionnel), pour les Hauts Elfes revenus s’exiler en Terre du Milieu à la fin du Premier Âge.

Le gris-elfique était, de par ses origines, apparenté au quenya ; car c’était la langue des Eldar qui, parvenus aux rivages de la Terre du Milieu, n’avaient pas traversé la Mer mais étaient demeurés sur les côtes, dans les terres du Beleriand. Thingol Capegrise du Doriath était leur roi, et là, dans le long crépuscule, leur langue s’était transformée, soumise au changement et aux vicissitudes des terres mortelles, s’éloignant considérablement du parler des Eldar d’outre-Mer.

Les Exilés, évoluant parmi les Elfes Gris, plus nombreux, adoptèrent le sindarin pour leur usage quotidien ; et c’était donc la langue de tous les Elfes et seigneurs elfes qui apparaissent dans ce récit. Car tous étaient de la race eldarine, même lorsque leurs sujets étaient issus de peuples moins illustres. La plus noble d’entre tous était la dame Galadriel de la maison royale de Finarfin, et sœur de Finrod Felagund, Roi de Nargothrond. Dans le cœur des Exilés, la nostalgie de la Mer était une inquiétude qu’on ne pouvait calmer ; et dans le cœur des Elfes Gris sommeillait la même inquiétude qui, une fois éveillée, ne trouvait aucun apaisement.

J.R.R. Tolkien

Ents

Les Ents. Les Onodrim , ou Enyd , étaient le plus antique des peuples encore existants au Troisième Âge. Ils étaient connus des Eldar depuis les temps anciens, et c’est d’ailleurs aux Eldar que les Ents attribuaient, non pas leur propre langue, mais leur désir de parole. La langue qu’ils avaient créée ne ressemblait à aucune autre : lente, sonore, agglutinante, répétitive et, disons-le, verbeuse ; composée d’une multitude de nuances vocaliques et de distinctions de ton et de timbre que même les maîtres du savoir, chez les Eldar, ne s’étaient jamais essayés à représenter par l’écriture. Ils ne l’employaient jamais qu’entre eux mais n’avaient aucun besoin de la garder secrète, car nuls autres ne pouvaient l’apprendre.

Les Ents, cependant, étaient eux-mêmes doués pour les langues, qu’ils apprenaient rapidement et n’oubliaient jamais par la suite. Ils préféraient toutefois les langues des Eldar, chérissant par-dessus tout l’ancienne langue haut-elfique. Les mots et les noms étranges que les Hobbits attribuent dans leurs récits à Barbebois et aux autres Ents sont donc de l’elfique, ou des fragments d’elfique agglutinés à la manière ent. Certains sont en quenya, comme Taurelilómëa-tumbalemorna Tumbaletaurëa Lómëanor , que l’on peut traduire par « Forêt-aux-maintes-ombres-vallée-profonde-noire Vallée-profonde-boisée Sombre-pays », par quoi Barbebois entendait plus ou moins : « Il y a une ombre noire dans les profondes vallées de la forêt ». D’autres sont en sindarin, tels Fangorn « barbe-(d’)arbre » et Fimbrethil « mince-hêtre ».

J.R.R. Tolkien

Hobbits

Les Hobbits sont un peuple longtemps passé inaperçu mais néanmoins très ancien, plus nombreux autrefois qu’il ne l’est aujourd’hui ; car ils aiment la paix, la tranquillité, et une bonne terre aux longs labours : rien ne leur convenait mieux qu’une campagne bien ordonnée et bien cultivée. Ils ne comprennent pas et n’ont jamais compris ni aimé les machines plus compliquées qu’un soufflet de forge, un moulin à eau ou un métier à tisser rudimentaire, bien qu’ils aient su manier les outils avec habileté. Même aux temps anciens, ils étaient généralement très réservés avec « les Grandes Gens », comme ils nous appellent, et de nos jours, ils nous évitent avec effroi et deviennent difficiles à trouver. Ils ont l’ouïe fine et l’œil perçant, et s’ils ont tendance à l’embonpoint et ne se pressent jamais sans nécessité, ils montrent néanmoins beaucoup d’agilité et d’adresse dans leurs mouvements. Ils ont toujours été doués dans l’art de disparaître rapidement et sans bruit, quand de gros patauds qu’ils ne souhaitent pas rencontrer s’aventurent de leur côté ; et cet art, ils l’ont perfectionné à tel point qu’il peut paraître magique aux yeux des Hommes. Mais les Hobbits n’ont, en fait, jamais étudié de magie d’aucune sorte, et leur nature insaisissable n’est due en réalité qu’à une habileté professionnelle que l’hérédité et l’expérience, de même qu’une étroite union avec la terre, ont rendue inimitable pour d’autres races plus gauches et lourdes.

Car les Hobbits sont des gens de petite stature, plus petits que les Nains : moins gros et trapus, s’entend, même quand ils ne sont pas beaucoup moins grands. Car leur taille est variable : entre deux et quatre pieds, selon nos mesures. De nos jours, ils atteignent rarement trois pieds ; mais les Hobbits ont rapetissé, disent-ils, et anciennement ils étaient plus grands. Selon le Livre Rouge, Bandobras Touc (Fiertaureau), fils d’Isumbras III, mesurait quatre pieds cinq pouces et pouvait monter à cheval. Dans toutes les chroniques hobbites, il ne fut surpassé que par deux célèbres personnages de jadis ; mais cette étrange histoire sera abordée dans le présent livre.

Quant aux Hobbits du Comté dont il est question dans ces récits, aux jours de leur prospérité et de leur paisible existence, c’étaient de joyeuses gens. Ils s’habillaient de couleurs vives, avec une préférence marquée pour le jaune et le vert ; mais ils portaient rarement des chaussures, ayant la plante des pieds dure comme du cuir et recouverte d’un épais poil brun et frisé, très semblable à leur chevelure, laquelle était généralement brune. Ainsi, le seul métier qu’ils ne pratiquaient pas couramment était la cordonnerie ; mais ils avaient de longs doigts habiles et pouvaient fabriquer bien d’autres choses utiles et belles. Leur visage était d’ordinaire plus enjoué que joli, large, avec des yeux brillants, des joues rouges et une bouche qui se prêtait volontiers au rire, au manger et au boire. Et pour ce qui était de rire, de manger et de boire, ils le faisaient souvent et avec entrain, ne dédaignant pas une bonne plaisanterie, et six repas par jour (quand ils le pouvaient). Ils étaient accueillants et adoraient les fêtes, ainsi que les cadeaux, qu’ils offraient sans compter et acceptaient sans se faire prier.

Il semble en effet (même s’ils se sont beaucoup éloignés par la suite) que les Hobbits nous sont apparentés : ils sont bien plus proches de nous que les Elfes, ou même les Nains. Jadis, ils parlaient les langues des Hommes, à leur manière, et avaient à peu près les mêmes goûts et les mêmes aversions que les Hommes. Mais il n’est plus désormais possible de découvrir la nature exacte de cette parenté. L’apparition des Hobbits remonte à très loin, aux Jours Anciens qui sont aujourd’hui perdus et oubliés. Seuls les Elfes conservent encore des chroniques de cette époque disparue, et leurs traditions concernent presque entièrement leur propre histoire, dans laquelle les Hommes apparaissent rarement et les Hobbits ne figurent pas du tout. Or, il apparaît que les Hobbits vivaient depuis maintes longues années en Terre du Milieu, longtemps avant que les autres peuples se soient même avisés de leur paisible existence. Et le monde étant, après tout, peuplé de créatures étranges en quantité innombrable, ces gens de petite stature ne semblaient revêtir que peu d’importance. Mais du temps de Bilbo, et de Frodo son héritier, ils acquirent soudainement, sans l’avoir cherché, une importance et une renommée hors du commun, et troublèrent les conseils des Sages et des Grands.

Cette époque, le Troisième Âge de la Terre du Milieu, est révolue depuis longtemps, et la forme des terres est aujourd’hui complètement changée ; mais les régions où vivaient alors les Hobbits étaient sans doute celles où ils subsistent encore de nos jours : le nord-ouest du Vieux Continent, à l’est de la Mer. De leur pays d’origine, les Hobbits du temps de Bilbo ne savaient plus rien. Le goût du savoir (autre que généalogique) était loin d’être répandu chez eux, bien qu’il y eût encore quelques individus des familles plus anciennes pour étudier leurs propres livres d’histoire, et même les relations de pays et d’époques reculés, qu’ils recueillaient auprès des Elfes, des Nains et des Hommes. Leurs propres archives ne commençaient qu’après la colonisation du Comté, et leurs plus anciennes légendes ne remontaient guère plus loin qu’à leurs Jours d’Errance. Il apparaît néanmoins, à la lumière de ces légendes et de ce que nous apprennent leurs vocables particuliers et leurs coutumes distinctives, que dans leur lointain passé, comme bien d’autres peuples, les Hobbits s’étaient déplacés vers l’ouest. Leurs contes les plus anciens semblent laisser entrevoir une époque où ils vivaient dans les vallées supérieures de l’Anduin, entre l’orée de Vertbois le Grand et les Montagnes de Brume. On ne sait plus aujourd’hui pourquoi ils ont entrepris la dure et périlleuse traversée des montagnes jusqu’en Eriador. Leurs propres récits faisaient état de la prolifération des Hommes dans le pays, et d’une ombre tombée sur la forêt, de sorte qu’elle s’enténébra et prit le nom de Grand’Peur.

Avant la traversée des montagnes, les Hobbits s’étaient déjà scindés en trois espèces quelque peu différentes : les Piévelus, les Fortauds et les Peaublêmes. Les Piévelus étaient plus bruns de peau, plus petits et plus courts, et ne portaient ni barbe, ni bottes ; leurs pieds et leurs mains étaient agiles et bien faits, et ils préféraient les montagnes et les collines. Les Fortauds étaient plus larges, plus robustes ; leurs pieds et leurs mains étaient plus massifs, et ils préféraient les plaines et le bord des rivières. Les Peaublêmes avaient le teint et les cheveux plus pâles, et ils étaient plus grands et minces que les autres ; ils aimaient les arbres et les terres boisées.

Les Piévelus côtoyaient beaucoup les Nains autrefois, et vécurent longtemps sur les contreforts des montagnes. Ils migrèrent très tôt vers l’ouest et parcoururent l’Eriador jusqu’à Montauvent, pendant que les autres habitaient encore la Contrée Sauvage. Cette variété était, sans aucun doute, la plus ordinaire et la plus représentative du peuple hobbit – et de loin la plus nombreuse. Les Piévelus étaient les plus enclins à s’établir en un lieu précis, et furent ceux qui conservèrent le plus longtemps leur habitude ancestrale d’habiter dans des tunnels et des trous.

Les Fortauds s’attardèrent longtemps sur les rives du Grand Fleuve Anduin, et se cachaient moins des Hommes. Ils passèrent à l’ouest des Montagnes après les Piévelus, suivant le cours de la Bruyandeau vers le sud ; et là, nombre d’entre eux vécurent longtemps entre Tharbad et les frontières de la Dunlande avant de remonter vers le nord.

Les Peaublêmes, les moins nombreux, étaient une branche nordique. Ils étaient en meilleurs termes avec les Elfes que ne l’étaient les autres Hobbits, plus doués pour les langues et les chansons que pour le travail manuel ; et autrefois, ils préféraient la chasse au labour. Traversant les montagnes au nord de Fendeval, ils descendirent la rivière Fongrège. En Eriador, ils se mêlèrent bientôt aux autres groupes qui les avaient précédés, mais comme ils étaient un peu plus hardis et aventureux, il n’était pas rare de les voir assumer un rôle de meneur ou de chef dans les clans de Piévelus ou de Fortauds. Même au temps de Bilbo, une forte ascendance peaublême se remarquait encore dans les grandes familles, notamment chez les Touc et les Maîtres du Pays-de-Bouc.

En Eriador, ces terres de l’ouest comprises entre les Montagnes de Brume et les Montagnes de Loune, les Hobbits trouvèrent tant des Hommes que des Elfes. En effet, il s’y trouvait encore quelques des cendants des Dúnedain, les rois des Hommes de l’Occidentale ayant jadis traversé la Mer ; mais leur nombre diminuait rapidement, et les terres de leur Royaume du Nord devenaient partout désertes. Il y avait amplement assez de place pour accueillir de nouveaux venus, et les Hobbits ne tardèrent pas à s’établir en communautés ordonnées. Du temps de Bilbo, la plupart de leurs anciens établissements étaient disparus et oubliés depuis longtemps ; mais l’un des premiers à devenir un bourg d’importance subsistait encore, sans toutefois être aussi vaste que par le passé : il se trouvait à Brie et dans le Bois de Chètes tout autour, à quelque quarante milles à l’est du Comté.

Ce fut sans doute à cette époque reculée de leur histoire que les Hobbits apprirent et à lire et à écrire à la manière des Dúnedain, lesquels avaient appris cet art des Elfes longtemps auparavant. À cette même époque, ils oublièrent toutes les langues qu’ils avaient pu parler jusque-là, et employèrent dès lors le parler commun, appelé occidentalien, qui était en usage dans tous les territoires des rois, de l’Arnor au Gondor, et le long de toutes les côtes de la Mer, du Belfalas au golfe du Loune. Ils conservèrent néanmoins quelques mots à eux, ainsi que leurs propres appellations des mois et des jours, et bon nombre de noms et prénoms hérités du passé.

Pour les Hobbits, c’est aux alentours de cette époque que s’arrête la légende et que commence l’Histoire avec un comput des années. Car ce fut en l’an mille six cent un du Troisième Âge que les frères Marcho et Blanco, des Peaublêmes, partirent de Brie ; et ayant obtenu l’autorisation du grand roi de Fornost, ils traversèrent le fleuve Baranduin aux eaux brunes avec une grande suite de Hobbits. Ils franchirent le pont des Arcs-en-pierre, construit au faîte de la puissance du Royaume du Nord, et prirent toutes les terres situées au-delà pour s’y établir, entre le fleuve et les Coteaux du Lointain. On leur demanda simplement d’entretenir le Grand Pont (ainsi que tous les autres ponts et routes), d’accorder libre passage aux messagers du roi, et de reconnaître sa souveraineté.

C’est alors que commença le Comput du Comté ; car l’année de la traversée du Brandivin (ainsi qu’on transforma ce nom chez les Hobbits) devint l’An Un du Comté, toutes les autres dates étant comptées à partir de celle-ci. Les Hobbits de l’Ouest tombèrent aussitôt amou reux de leur nouveau pays ; ils y demeurèrent, et bientôt disparurent une fois de plus de l’histoire des Hommes et des Elfes. Tant qu’il y eut un roi, ils restèrent en principe ses sujets, même si en réalité, ils étaient gouvernés par leurs propres chefs et ne prenaient aucune part aux événements du monde extérieur. Lors de la dernière bataille à Fornost contre le Sire-Sorcier de l’Angmar, ils envoyèrent des archers au secours du roi, ou du moins l’ont-ils affirmé, bien qu’aucun récit des Hommes n’en fasse état. Mais au terme de cette guerre, le Royaume du Nord prit fin, après quoi les Hobbits s’approprièrent les terres et se choisirent un Thain parmi leurs chefs pour exercer l’autorité du roi qui n’était plus. Là, pendant un millénaire, ils furent peu inquiétés par les guerres, et ils prospérèrent et se multiplièrent après la Grande Peste (37 C.C.) jusqu’au désastre du Long Hiver, suivi d’une importante famine. Plusieurs milliers d’habitants périrent alors ; mais à l’époque de ce récit, les Jours de Disette (1158-1160) n’était plus qu’un lointain souvenir, et les Hobbits s’étaient de nouveau habitués à l’abondance. Leur terre était hospitalière et prodigue de ses richesses, car bien que désertée depuis longtemps lorsqu’ils y arrivèrent, elle avait été bien cultivée auparavant, du temps où le roi y avait de nombreuses fermes, champs de blé, vignobles et terres boisées.

Elle s’étendait sur quarante lieues, des Coteaux du Lointain jusqu’au Pont du Brandivin, et en faisait cinquante depuis les landes du nord jusqu’aux marécages du sud. Les Hobbits l’appelèrent le Comté, c’est-à-dire la région où s’exerçait l’autorité de leur Thain, un lieu d’affaires bien ordonnées ; et là, dans cette agréable partie du monde, ils s’affairèrent à vivre leurs vies bien ordonnées, et ils firent de moins en moins attention au monde extérieur où de sombres choses évoluaient, si bien qu’ils finirent par croire que la paix et l’abondance étaient la norme en Terre du Milieu, un droit pour tous les gens de bon sens. Ils oublièrent le peu qu’ils avaient jamais su au sujet des Gardiens, ou décidèrent d’en faire fi, négligeant les efforts de ceux qui assuraient la longue paix du Comté. Dans les faits, ils étaient protégés, mais ils avaient cessé de s’en souvenir.

Jamais il n’y eut de Hobbits d’aucune sorte au tempérament guerrier, et jamais les Hobbits ne s’étaient battus entre eux. Au temps jadis, ils avaient bien sûr été forcés de se battre pour survivre dans un monde cruel ; mais du temps de Bilbo, c’était de l’histoire très ancienne. De leur dernière bataille avant le début ce récit (la seule, d’ailleurs, à s’être déroulée à l’intérieur des frontières du Comté), il ne restait plus aucun témoin vivant : il s’agit de la Bataille des Champs-Verts, 1147 C.C., au cours de laquelle Bandobras Touc mit une invasion d’Orques en déroute. Même les saisons s’étaient adoucies, et les loups chasseurs qui, autrefois, descendaient du Nord lors des rudes hivers blancs n’étaient plus qu’une histoire racontée aux enfants. Ainsi, bien qu’il y eût encore une provision d’armes dans le Comté, elles servaient surtout de trophées, ornant les cheminées et les murs des habitations, ou encore, les salles du musée de Grande-Creusée. On l’appelait la Maison des Mathoms ; car tout ce pour quoi les Hobbits n’avaient pas d’usage immédiat, mais qu’ils ne voulaient pas jeter, était pour eux un mathom. Leurs demeures avaient tendance à s’encombrer de mathoms, et nombre des cadeaux qui s’échangeaient de main en main étaient de cette sorte.

Ce peuple, malgré le confort et la paix dont il jouissait, conservait une singulière endurance. Car les Hobbits ne se laissaient pas facilement abattre ou tuer, quand les choses en arrivaient là ; et s’ils étaient inlassablement épris des bonnes choses, c’était peut-être, justement, parce qu’ils parvenaient à s’en passer lorsqu’ils y étaient contraints, et qu’ils pouvaient survivre aux affres du chagrin, de l’ennemi ou du climat, d’une manière qui ne manquait pas de surprendre ceux qui ne les connaissaient pas bien et ne regardaient pas plus loin que leurs ventres ronds et leurs visages joufflus. Lents à la querelle, et ne tuant aucune créature vivante pour le plaisir de la chasse, ils se montraient néanmoins vaillants quand ils étaient acculés, et savaient encore manier les armes en cas de nécessité. Ils tiraient bien à l’arc, car ils avaient la vue perçante et une bonne visée. Non seulement avec l’arc et les flèches. Quand un Hobbit ramassait une pierre, il était conseillé de se mettre rapidement à couvert, comme le savaient fort bien les bêtes qui s’aventuraient sur leurs propriétés.

Tous les Hobbits vivaient à l’origine dans des trous creusés à même le sol, ou du moins le croyaient-ils, et c’était dans ce genre de demeures qu’ils se sentaient encore le plus à l’aise ; mais au fil du temps, ils avaient dû adopter d’autres types d’habitations. En fait, dans le Comté au temps de Bilbo, il n’y avait en règle générale que les Hobbits les plus riches et les plus pauvres pour conserver l’ancienne coutume. Les plus pauvres vivaient encore dans les terriers les plus rudimentaires qui soient, en vérité de simples trous, avec une seule fenêtre ou même aucune ; tandis que les mieux nantis se construisaient de somptueuses résidences inspirées des modestes excavations d’autrefois. Mais les sites capables d’accueillir ces grands tunnels ramifiés (ou smials, comme ils les appelaient) ne se trouvaient pas partout ; et dans les plaines et les basses terres, les Hobbits, à mesure qu’ils se multipliaient, avaient commencé à construire au-dessus du sol. En effet, même dans les régions vallonnées et les anciens villages, tels Hobbiteville ou Tocquebourg, ou dans le chef-lieu du Comté, Grande-Creusée-les-Côtes-Blanches, on remarquait à présent de nombreuses maisons en bois, en brique ou en pierre. Celles-ci étaient particulièrement appréciées des meuniers, cordiers, forgerons, charrons et autres artisans du même genre ; car même lorsqu’ils avaient des trous où habiter, les Hobbits avaient coutume de construire des remises et des ateliers.

L’habitude de construire des fermes et des granges avait commencé, disait-on, chez les habitants de la Marêche, près du Brandivin. Les Hobbits de cette région, le Quartier Est, étaient plutôt trapus, avec de fortes jambes, et ils portaient des bottes de Nains par temps boueux. Mais ils étaient reconnus pour avoir beaucoup de sang fortaud, comme en faisait foi le duvet que maints d’entre eux portaient au menton. Aucun Piévelu ou Peaublême n’avait trace de barbe. En fait, les gens de la Marêche (et du Pays-de-Bouc, à l’est du Fleuve, qu’ils occupèrent par la suite) arrivèrent pour la plupart tardivement dans le Comté, étant venus du Sud ; et ils conservaient bon nombre de mots et de noms singuliers qui ne se retrouvaient nulle part ailleurs dans le Comté.

Il est probable que l’art de construire, comme bien d’autres arts, leur venait des Dúnedain. Mais les Hobbits ont pu l’apprendre directement des Elfes, qui instruisirent les Hommes au temps de leur jeunesse. Car les Elfes du Haut Peuple n’avaient toujours pas déserté la Terre du Milieu, et demeuraient encore en ce temps-là aux Havres Gris, quelque peu à l’ouest, et en d’autres endroits non loin du Comté. Trois antiques tours elfes se voyaient encore sur les Collines des Tours au-delà des marches occidentales. Elles brillaient loin dans le clair de lune. La plus haute était aussi la plus éloignée, dressée seule sur un monticule vert. Les Hobbits du Quartier Ouest disaient que, du haut de cette tour, on pouvait apercevoir la Mer ; mais nul ne se souvenait qu’aucun Hobbit y fût jamais monté. En fait, bien peu d’entre eux avaient déjà vu la Mer ou navigué sur elle, et encore moins étaient revenus pour en témoigner. La plupart des Hobbits considéreraient même les rivières et les petits bateaux avec la plus grande méfiance, et ils n’étaient pas nombreux à savoir nager. Et à mesure que les années passaient dans le Comté, ils parlèrent de moins en moins aux Elfes et se mirent à les craindre, devenant soupçonneux des gens qui les côtoyaient ; et dès lors la Mer fut pour eux un mot d’épouvante et un signe de mort, et ils se détournèrent des collines à l’ouest de leur pays.

L’art de construire leur venait peut-être des Elfes ou des Hommes, mais les Hobbits s’en servaient à leur manière. Ils n’étaient pas du tout portés sur les tours. Leurs maisons étaient d’ordinaire longues et basses, en plus d’être confortables. Les plus anciennes n’étaient d’ailleurs que des constructions imitant les smials, recouvertes de foin ou de chaume, ou encore de gazon, aux murs légèrement bombés. Ce style d’habitation datait cependant des débuts du Comté, et l’architecture hobbite avait beaucoup évolué depuis, grâce à des procédés qu’ils avaient appris des Nains ou découverts par eux-mêmes. Elle se distinguait encore par cette préférence qu’avaient les Hobbits pour les fenêtres rondes, et même les portes tout en rondeur.

Les maisons et les trous des Hobbits du Comté étaient souvent de vastes demeures où logeaient de grandes familles. (Bilbo et Frodo Bessac, deux célibataires, étaient, à cet égard, très exceptionnels – comme à bien d’autres égards, dont leur amitié avec les Elfes.) Parfois, comme pour les Touc de Grands Smials ou les Brandibouc de Castel Brandy, plusieurs générations de parents vivaient ensemble et en (relative) harmonie dans un manoir ancestral aux multiples tunnels. Quoi qu’il en soit, les Hobbits étaient tous dotés d’un certain esprit de clan et accordaient beaucoup d’importance aux liens de parenté. Ils dressaient de grands arbres généalogiques aux ramifications complexes et innombrables. Quand on a affaire aux Hobbits, il est bien important de se rappeler qui est parent avec qui, et à quel degré. Il serait impossible, dans ce livre, de donner un arbre généalogique qui comprendrait ne serait-ce que les membres les plus éminents des plus importantes familles au temps où se passent ces récits. Les arbres que l’on trouve à la fin du Livre Rouge de la Marche-de-l’Ouest forment en eux-mêmes un petit livre, que tous sauf les Hobbits trouveraient extrêmement fastidieux. Les Hobbits adoraient ce genre de choses, quand elles étaient justes : ils aimaient que les livres soient remplis de choses qu’ils savaient déjà, exposées clairement et sans contradictions.

Les Hobbits du Comté et de Brie avaient à cette époque, probablement depuis un millénaire, adopté le parler commun. Ils en usaient à leur manière, librement et quelque peu négligemment ; bien que les plus érudits eussent encore la maîtrise d’un registre soutenu lorsqu’il était de mise.

La documentation ne fait état d’aucune langue propre aux Hobbits. Ils semblent, de tout temps, avoir parlé les langues des Hommes près desquels ou parmi lesquels ils vivaient. Aussi, à leur arrivée en Eriador, ils adoptèrent rapidement le parler commun ; et dès l’époque de leur colonisation de Brie, ils avaient déjà commencé à oublier leur ancienne langue. Il s’agissait à l’évidence d’un parler des Hommes de l’Anduin supérieur, apparenté à celui des Rohirrim ; encore que les Fortauds du Sud semblent s’être servis d’une langue apparentée au dunlandais avant de remonter au nord dans le Comté.

Au temps de Frodo, il restait encore quelque trace de cela dans les vocables et les noms régionaux, bon nombre desquels ressemblaient fortement à ceux du Val et du Rohan, notamment les noms des jours, des mois et des saisons ; plusieurs autres mots du même genre (tels mathom et smial ) étaient encore d’usage courant, alors que d’autres subsistaient dans les toponymes de la région de Brie et du Comté. Les noms et prénoms des Hobbits étaient tout aussi particuliers, et nombre d’entre eux étaient hérités de l’ancien temps.

Hobbit étaient le nom couramment employé par les Gens du Comté pour désigner tous ceux de leur espèce. Les Hommes les appelaient Demi-Hommes et les Elfes Periannath . L’origine du mot hobbit était oubliée de la plupart. Il semble toutefois que le nom ait été, en tout premier lieu, attribué aux Piévelus par les Peaublêmes et les Fortauds. Il s’agirait de la déformation d’un mot ancien, mieux conservé au Rohan : holbytla « bâtisseur de trous ».

J.R.R. Tolkien

Hommes

L’ occidentalien était de la famille des langues des Hommes, bien qu’enrichi et atténué sous l’influence des Elfes. À l’origine, c’était la langue de ceux que les Eldar nommaient Atani ou Edain , « les Pères des Hommes », en particulier les gens des Trois Maisons des Amis des Elfes qui entrèrent au Beleriand, dans l’ouest de la Terre du Milieu, au Premier Âge. Là, ils vinrent en aide aux Eldar dans la Guerre des Grands Joyaux contre le Sombre Pouvoir du Nord.

Après la chute du Pouvoir Sombre, au cours de laquelle le Beleriand se trouva en grande partie submergé ou détruit, il fut consenti aux Amis des Elfes de passer au-delà de la Mer, comme les Eldar. Mais, les terres du Royaume Immortel leur étant interdites, l’on détacha pour eux une grande île, la plus occidentale de toutes les terres mortelles. Cette île s’appelait Númenor (l’Occidentale). Ainsi, la plupart des Amis des Elfes allèrent s’établir à Númenor, où ils devinrent de grands et puissants Hommes, et d’illustres navigateurs à la tête de nombreux navires. Ils étaient beaux de visage et grands de stature, et leur longévité était trois fois celle des Hommes de la Terre du Milieu. Tels étaient les Númenóréens, les Rois des Hommes, que les Elfes nommaient les Dúnedain .

De tous les peuples des Hommes, seuls les Dúnedain connaissaient et parlaient une langue elfique ; car leurs ancêtres avaient appris la langue sindarine, un savoir important qu’ils avaient transmis à leurs enfants et qui, au fil des années, ne se modifiait guère. Et leurs sages apprirent aussi le quenya haut-elfique, qu’ils plaçaient au-dessus de toute autre langue ; et ils nommèrent dans cette langue beaucoup de lieux considérés comme importants ou vénérables, et bien des personnages de noble lignée et de grand renom.

Mais la langue maternelle des Númenóréens demeura, pour le commun des hommes, celle qu’ils tenaient de leurs ancêtres, soit l’adûnaïque, auquel les rois et les grands seigneurs, gonflés d’orgueil, devaient plus tard revenir. Alors, tous délaissèrent le parler elfique, sauf les rares fidèles qui ne trahirent pas leur vieille amitié avec les Eldar. Au faîte de leur puissance, les Númenóréens détenaient de nombreuses places fortes ainsi que des havres sur les côtes occidentales de la Terre du Milieu pour la sécurité de leurs navires ; et l’un des plus importants était Pelargir, près des Bouches de l’Anduin. On y parlait l’adûnaïque, lequel, mêlé à quantité de mots issus des langues des hommes moindres, donna un parler commun qui se répandit le long des côtes parmi tous ceux qui avaient commerce avec l’Occidentale.

Après la Chute de Númenor, Elendil ramena les survivants des Amis des Elfes aux rivages du nord-ouest de la Terre du Milieu. Y habitaient déjà de nombreux hommes qui se réclamaient, en partie ou en totalité, d’une ascendance númenóréenne ; mais bien peu se souvenaient du parler elfique. Dès le commencement, les Dúnedain étaient en tout et pour tout beaucoup moins nombreux que les hommes moindres parmi lesquels ils évoluaient, et qu’ils gouvernaient ; car c’étaient des seigneurs de grande longévité et des hommes puissants et sages. Ils usaient donc du parler commun dans leurs rapports avec les autres peuples et le gouvernement de leurs vastes royaumes ; mais ils lui donnèrent une plus grande ampleur et l’enrichirent de nombreux mots issus des langues elfiques.

Au temps des rois númenóréens, cet occidentalien ennobli connut une large diffusion, même parmi leurs ennemis ; et les Dúnedain eux-mêmes l’adoptèrent graduellement, de sorte qu’à l’époque de la Guerre de l’Anneau, la langue elfique n’était plus connue que d’une faible proportion des gens du Gondor ; plus rares encore étaient ceux qui en faisaient un usage journalier. Ces derniers vivaient surtout à Minas Tirith et dans les terres avoisinantes, de même que chez les princes tributaires établis à Dol Amroth. Il n’empêche qu’au royaume de Gondor, presque tous les noms de lieux et de personnes étaient elfiques, tant par la forme que par le sens. Quelques-uns, d’origine inconnue, remontaient sans doute à une époque où les navires des Númenóréens n’avaient pas encore pris la Mer, notamment Umbar , Arnach et Erech ; et les noms Eilenach et Rimmon désignant des montagnes . Forlong est un autre exemple du même genre.

La plupart des Hommes qui habitaient les régions septentrionales des Terres de l’Ouest étaient issus des Edain du Premier Âge, ou de leurs proches parents. Leurs langues s’apparentaient donc à l’adûnaïque, et certaines avaient encore quelque ressemblance avec le parler commun. C’était le cas des habitants des vallées supérieures de l’Anduin : les Béorniens et les Hommes des Bois de l’ouest de Grand’Peur ; et, plus au nord et à l’est, les Hommes du Long Lac et ceux du Val. Dans les terres situées entre la Rivière aux Flambes et le Carroc, vivait jadis un peuple que les gens du Gondor appelèrent plus tard les Rohirrim, les Maîtres des Chevaux. Ils avaient conservé leur langue ancestrale, aussi nommèrent-ils en cette langue presque tous les endroits de leur nouveau pays ; et ils se nommaient eux-mêmes les Eorliens, ou les Hommes du Riddermark. Mais leurs seigneurs usaient volontiers du parler commun, et ils le parlaient noblement à la manière de leurs alliés du Gondor ; car au Gondor, dans sa terre d’origine, l’occidentalien conservait un style plus raffiné et plus ancien.

À ces langues, le parler des Hommes Sauvages de la Forêt de Drúadan était tout à fait étranger. Il en allait de même de celui des Dunlandais, aucunement relié, sinon de manière très lointaine. Ce peuple était un vestige des populations qui occupaient anciennement les vallées des Montagnes Blanches. Les Hommes Morts de Dunhart leur étaient apparentés. Mais durant les Années Sombres, d’autres étaient partis s’établir dans les vallons du sud des Montagnes de Brume ; et de là, certains avaient gagné les terres désertes, aussi loin au nord que les Coteaux des Tertres. Les Hommes de Brie en étaient issus ; mais ceux-ci étaient passés depuis longtemps sous la dépendance de l’Arnor, le Royaume du Nord, et ils avaient fait de l’occidentalien leur langue usuelle. Ce n’est qu’en Dunlande que les Hommes de cette souche conservèrent leur parler ancien et leurs coutumes d’antan : un peuple secret, hostile aux Dúnedain, ennemis jurés des Rohirrim.

Leur langue n’apparaît nulle part dans ce livre, sauf pour le nom Forgoil qu’ils donnaient aux Rohirrim (et qui, semble-t-il, signifiait Têtes-de-Paille). Dunlande et Dunlandais sont les noms que leur donnaient les Rohirrim, parce qu’ils avaient la peau bistre et les cheveux foncés ; il n’y a donc aucun lien entre l’élément dun de ces noms (du vieil anglais dunn « brun foncé ») et le mot gris-elfique Dûn « ouest ».

J.R.R. Tolkien

Maïar

Avec les Valar vinrent d’autres esprits dont l’être débuta aussi avant le commencement du Monde, du même ordre que les Valar quoique de moindre rang. Ce sont les Maiar, les gens des Valar, leurs serviteurs et assistants. Leur nombre n’est pas connu des Elfes, et il en est peu qui aient un nom dans aucune des langues des Enfants d’Ilúvatar ; car s’il en va autrement en Aman, sur la Terre du Milieu, les Maiar ont rarement pris une forme visible aux yeux des Elfes et des Hommes.

Parmi les Maiar du Valinor dont les noms figurent dans les récits historiques des Jours Anciens, les plus éminents sont Ilmarë, la servante de Varda, de même qu’Eönwë, le porte-étendard et héraut de Manwë, qui en Arda n’a pas son pareil au maniement des armes. Mais de tous les Maiar, Ossë et Uinen demeurent les mieux connus des Enfants d’Ilúvatar.

Ossë est un vassal d’Ulmo, et il est maître des océans qui baignent les rivages de la Terre du Milieu. Il ne visite pas les profondeurs, mais préfère les côtes et les îles, s’égayant sous les vents de Manwë ; car il aime plus que tout la tempête, et son rire se mêle au rugissement des vagues. Son épouse est Uinen, la Dame des Mers, dont la chevelure parsème tous les océans et rivières qui s’étendent sous le ciel. Elle aime toutes les créatures des eaux salées, et toutes les plantes qui y poussent ; les marins invoquent son nom, car elle peut amener les flots au calme, tempérant les humeurs d’Ossë. Les Númenóréens, qui vécurent longtemps sous sa protection, la vénéraient à l’égal des Valar.

Melkor haïssait la Mer, car il ne pouvait la subjuguer. On dit que, lors du façonnement d’Arda, il tenta d’amener Ossë sous son allégeance, lui promettant toute la puissance d’Ulmo et son royaume entier, s’il consentait à le servir. Ainsi, il y a bien longtemps, la mer connut de grands tumultes qui semèrent la dévastation dans les terres. Mais Uinen, sur la prière d’Aulë, domina Ossë et l’amena devant Ulmo, qui lui pardonna ; et Ossë revint à son allégeance, qu’il ne renia jamais. Ou peu s’en faut ; car le goût de la violence ne le quitta jamais entièrement, et il lui arrive de se laisser emporter sans aucun ordre d’Ulmo, son suzerain. Ainsi, ceux qui demeurent près de la mer ou qui s’embarquent sur des navires peuvent l’aimer, mais ils ne lui font pas confiance.

Melian était le nom d’une Maia au service de Vána et d’Estë ; elle vécut longtemps en Lórien, soignant ces arbres qui fleurissent dans les jardins d’Irmo, avant son arrivée en Terre du Milieu. Le chant des rossignols l’accompagnait où qu’elle allât.

Le plus sage des Maiar était Olórin. Lui aussi vivait en Lórien, mais ses pas le menaient souvent à la demeure de Nienna, de qui il apprit la pitié et la patience.

Concernant Melian, maintes choses sont racontées dans la Quenta Silmarillion. Mais d’Olórin, ce récit ne parle pas ; car s’il aimait les Elfes, il allait parmi eux sans être vu, ou passait pour l’un des leurs ; et eux ne savaient d’où venaient les sublimes visions et les mouvements de sagesse qu’il insufflait en leurs cœurs. Longtemps après, il fut l’ami de tous les Enfants d’Ilúvatar et prit pitié de leurs souffrances ; et ceux qui l’écoutaient s’arrachaient au désespoir et chassaient les phantasmes de l’obscurité.

Parmi ceux de ses serviteurs qui portent un nom, le plus puissant était cet esprit que les Eldar appelaient Sauron, ou Gorthaur le Cruel. Maia de la suite d’Aulë à ses débuts, il conserva une grande maîtrise de leur savoir. Dans tous les forfaits de Melkor le Morgoth sur Arda, dans ses œuvres démesurées comme dans ses perfides intrigues, Sauron joua toujours un rôle ; et s’il se révéla moins malfaisant que celui qui le commandait, ce n’est que parce qu’il fut longtemps au service d’un autre, et non son propre maître. Mais il surgit en son temps comme une ombre de Morgoth et un spectre de sa malveillance, et il le suivit sur le même sentier désastreux conduisant au Vide.

J.R.R. Tolkien

Les Maïar (Maïa au singulier)

Istari

Quand il se fut écoulé environ un millénaire, et que les premiers signes de l’Ombre se furent manifestés à Vertbois-le-Grand, les Istari ou Magiciens firent leur apparition en Terre du Milieu. Il fut plus tard rapporté que ces émissaires, venus de l’Extrême-Ouest, avaient pour mission de contester le pouvoir de Sauron, et d’unir tous ceux qui avaient encore la volonté de lui résister ; mais il leur était interdit de chercher à lui opposer un pouvoir égal, ou à dominer les Elfes ou les Hommes par la force et la peur.

C’est pourquoi ils se présentèrent sous l’apparence d’Hommes, encore qu’ils n’aient jamais paru jeunes et n’aient vieilli que très lentement, et bien qu’ils eussent aussi de nombreux pouvoirs, tant de corps que d’esprit. Leurs noms véritables, ils ne les révélèrent qu’à quelques-uns, usant plutôt des noms qu’on leur donnait. Les deux plus éminents de cet ordre (que l’on disait compter cinq membres) étaient connus chez les Eldar sous les noms de Curunír, « l’Homme Habile », et de Mithrandir, « le Pèlerin Gris », mais chez les Hommes du Nord, ils étaient Saruman et Gandalf. Curunír voyagea souvent dans l’Est, mais il finit par s’établir à Isengard. Mithrandir était plus proche des Eldar ; il errait surtout dans l’Ouest et ne se fixa jamais longtemps dans une quelconque demeure.

Tout au long du Troisième Âge, les dépositaires des Trois Anneaux ne furent jamais connus que d’eux-mêmes. Mais l’on sut à la toute fin que leurs premiers détenteurs avaient été les trois plus grands des Eldar : Gil-galad, Galadriel et Círdan. Gil-galad, avant de mourir, avait remis son anneau à Elrond, et Círdan confia plus tard le sien à Mithrandir. Círdan avait en effet la vue la plus longue et la plus profonde de tous les habitants de la Terre du Milieu, et ce fut lui qui accueillit Mithrandir aux Havres Gris, sachant d’où il venait et où il retournerait.

« Prenez cet anneau, Maître, dit-il, car vos labeurs seront grands ; mais il pourra remédier à la lassitude que vous vous êtes imposée. Car ceci est l’Anneau de Feu, et il vous aidera à réchauffer les cœurs dans un monde gagné par le froid. Mais mon cœur, lui, est auprès de la Mer, et je resterai sur ses rivages de gris jusqu’au départ du dernier navire. Je vous attendrai. »

J.R.R. Tolkien

5 Istari

Les istari (istar au singulier) étaient les envoyés des Valar appartenant à l'ordre des mages. Chacun avait des pouvoirs qui lui étaient propres. 5 istari sont subitement apparus en Terre du Milieu dans l'ordre qui suit :

Nains

Les Nains forment un peuple à part. Leur étrange genèse, et le pourquoi de leurs ressemblances et dissemblances avec les Elfes et les Hommes, sont racontés dans le Silmarillion ; mais les Elfes mineurs de la Terre du Milieu n’avaient pas connaissance de ce récit, tandis que les récits des Hommes venus après brossent un portrait faussé par le souvenir d’autres races.

Ce sont, en règle générale, des gens coriaces et biscornus, secrets, laborieux, qui longtemps gardent souvenir des injures (mais aussi des bienfaits), et qui aiment la pierre, les gemmes, et les choses qui prennent forme sous la main des artisans, plutôt que celles qui vivent de leur vie propre. Mais ils ne sont pas malfaisants de nature, et rares sont ceux qui ont servi l’Ennemi de leur plein gré, quoi qu’aient pu raconter les Hommes. Car les Hommes d’autrefois convoitaient leurs richesses et les ouvrages de leurs mains, et les deux races ont parfois été ennemies.

Mais au Troisième Âge, l’amitié fleurissait encore en maints endroits entre les Hommes et les Nains ; et il était dans la nature des Nains, lorsqu’ils voyageaient, travaillaient et commerçaient de par les terres, comme ce fut le cas après la destruction de leurs antiques palais, d’employer les langues des Hommes parmi lesquels ils évoluaient. Mais en secret (secret que, contrairement aux Elfes, ils ne révélaient pas volontiers, même à leurs amis), ils parlaient l’étrange langue qui était la leur, et qui ne changeait guère avec les années ; car c’était devenu une langue d’érudition plutôt qu’un parler appris à la naissance, qu’ils entretenaient et conservaient comme un trésor du passé. Peu de gens des autres races réussirent jamais à l’apprendre. Dans le présent récit, elle n’apparaît que dans les noms de lieux que Gimli voulut bien révéler à ses compagnons ; et dans le cri de guerre qu’il lança au siège de la Ferté-au-Cor. Ce cri, du moins, n’était pas secret, ayant été entendu sur maints champs de bataille depuis le commencement du monde. Baruk Khazâd ! Khazâd ai-mênu ! « Les haches des Nains ! Les Nains sont sur vous ! »

Le nom de Gimli, toutefois, et ceux de toute sa famille, sont d’origine nordique (issus des langues des Hommes). Leurs noms secrets ou « intérieurs », leurs noms véritables, les Nains ne les ont jamais révélés à quiconque n’était pas de leur race. Ils ne les inscrivent même pas sur leurs tombes.

J.R.R. Tolkien

Orques

Les Orques et le noir parler. La forme orque est celle que prenait le nom de ce peuple infâme chez les autres races, et celle en usage au Rohan. En sindarin, c’était orch . Les deux sont certainement apparentées au mot uruk du noir parler, bien que ce terme ne s’appliquât normalement qu’aux soldats orques qui sortirent du Mordor et d’Isengard vers cette époque. Les plus chétifs étaient appelés (en particulier par les Urukhai) snaga « esclave ».

Les Orques furent initialement engendrés par le Pouvoir Sombre du Nord aux Jours Anciens. On dit qu’ils n’avaient pas de langue à eux, mais se contentaient d’emprunter ce qu’ils pouvaient aux autres langues, qu’ils pervertissaient comme ils l’entendaient ; mais ils n’en tiraient que de rudes jargons, à peine convenables pour leurs propres besoins, sauf en matière de jurons et d’insultes. Et très vite, ces créatures, pleines de malveillance et de haine, même envers leur propre espèce, développèrent autant de dialectes barbares qu’il y avait de groupes ou d’établissements parmi eux, si bien que leur parler orque ne pouvait guère servir, dès qu’il s’agissait d’interagir avec d’autres tribus.

Aussi, au Troisième Âge, les Orques se servaient-ils de la langue occidentalienne pour communiquer entre espèces ; de fait, certaines des plus anciennes tribus, dont celles qui subsistaient dans le Nord et les Montagnes de Brume, avaient depuis longtemps adopté le parler commun comme langue maternelle, encore qu’ils en aient fait un sabir presque aussi détestable que la langue orque. Dans ce jargon, le mot tark « homme du Gondor » était une forme dégradée de tarkil , terme quenya, désignant en occidentalien une personne d’ascendance númenóréenne ; voir III 214.

Le noir parler aurait été inventé durant les Années Sombres par Sauron, qui aurait voulu en faire la langue de tous ses serviteurs, ce à quoi il ne réussit pas. C’est néanmoins du noir parler que venaient bon nombre de mots d’usage général chez les Orques du Troisième Âge, tel ghâsh « feu » ; mais après la première défaite de Sauron, cette langue, dans sa forme primitive, tomba dans l’oubli le plus complet, sauf chez les Nazgûl. Lors de la résurgence de Sauron, elle redevint la langue de Barad-dûr et des capitaines du Mordor. L’inscription de l’Anneau était en noir parler ancien, mais l’invective de l’orque du Mordor (II 54) en est une forme dénaturée, en usage chez les soldats de la Tour Sombre, dont Grishnákh était le capitaine. Sharkû , dans cette langue, signifie « vieil homme ».

J.R.R. Tolkien

Trolls

Les Trolls. On s’est servi du mot Troll pour traduire le sindarin Torog . À leur apparition, dans le lointain crépuscule des Jours Anciens, c’étaient des créatures obtuses et maladroites, et leur langage n’était pas plus évolué que celui des bêtes. Mais Sauron s’était servi d’eux, leur apprenant le peu qu’ils étaient capables d’assimiler et les imprégnant de méchanceté afin d’aiguiser leur intelligence. Les trolls prirent donc aux Orques tous les éléments de langage qu’ils pouvaient maîtriser ; ainsi, dans les Terres de l’Ouest, les Trolls de Pierre parlaient une forme altérée du parler commun.

Mais à la fin du Troisième Âge, une race de trolls jusqu’alors inconnue fit son apparition dans le sud de Grand’Peur et aux lisières montagneuses du Mordor. En noir parler, ils se nommaient les Olog-hai. Nul ne doutait que Sauron les avait engendrés, bien qu’on ne sût pas à partir de quelles souches. D’aucuns prétendaient qu’il s’agissait non pas de Trolls mais d’Orques géants ; mais les Olog-hai étaient, de corps et d’esprit, d’une tournure tout à fait dissemblable aux Orques, même ceux des grandes espèces, qu’ils surpassaient largement par la taille, comme par la force. C’étaient bien des Trolls, mais ils étaient pénétrés de la malveillance de leur maître : une race cruelle, agile, puissante, féroce et rusée, mais plus dure que la pierre. Contrairement à l’ancienne race du Crépuscule, ils supportaient la lumière du Soleil, pourvu que Sauron les tînt sous l’emprise de sa volonté. Ils parlaient peu, la seule langue qu’ils connaissaient étant le noir parler de Barad-dûr.

J.R.R. Tolkien

Valar

Les plus Grands de ces esprits, les Elfes les nomment Valar, les Puissances d’Arda ; et les Hommes les ont souvent appelés des dieux. Les Seigneurs des Valar sont au nombre de sept, et les Valier, les Reines des Valar, sont sept également. Tels étaient leurs noms dans la langue elfique parlée en Valinor, bien qu’ils eussent d’autres noms dans le parler des Elfes de la Terre du Milieu, et bien d’autres encore parmi les Hommes. Les noms des Seigneurs en ordre de préséance sont les suivants : Manwë, Ulmo, Aulë, Oromë, Mandos, Lórien et Tulkas ; et les noms des Reines sont : Varda, Yavanna, Nienna, Estë, Vairë, Vána et Nessa. Melkor n’est désormais plus compté parmi les Valar, et son nom n’est pas prononcé sur Terre.

Manwë et Melkor étaient frères dans la pensée d’Ilúvatar. Le plus puissant de ces Ainur qui vinrent dans le Monde était Melkor à ses débuts ; mais Manwë est plus cher à Ilúvatar et comprend plus clairement ses desseins. Il fut voué à être, dans la plénitude du temps, le plus éminent de tous les Rois : seigneur du royaume d’Arda et souverain de toutes choses y comprises. En Arda, les vents et les nuages ont sa prédilection, et toutes les régions de l’air, des hauteurs jusqu’aux profondeurs, des derniers confins du Voile d’Arda jusqu’aux brises faisant remuer l’herbe. Il est surnommé Súlimo, le Seigneur du Souffle d’Arda. Il aime tous les oiseaux rapides, aux ailes puissantes, et ils vont et viennent à son commandement.

Auprès de Manwë demeure Varda, la Dame des Étoiles, qui connaît toutes les régions d’Eä. Sa beauté est si grande qu’elle ne peut se dire avec les mots des Elfes ou des Hommes ; car la lumière d’Ilúvatar subsiste encore sur son visage. C’est en la lumière que résident son pouvoir et sa joie. Elle vint des profondeurs d’Eä au secours de Manwë ; car elle connaissait Melkor dès avant la Musique et l’avait rejeté, et Melkor la haïssait et la craignait plus que toute autre créature d’Eru. Manwë et Varda sont rarement séparés, et ils restent en Valinor. Leurs halles sont au-dessus des neiges éternelles, sur Oiolossë, suprême bastion du Taniquetil, la plus haute montagne sur Terre. Quand Manwë y monte sur son trône et qu’il regarde au loin, sa vue est plus perçante que tout autre regard, si Varda est auprès de lui, à travers brumes et ténèbres et par-delà les lieues de la mer. Et si Manwë est auprès d’elle, Varda entend plus clairement qu’aucune autre oreille le son des voix qui s’élèvent à l’est et à l’ouest, des collines et des vallées, ou encore des lieux sombres dont Melkor a parsemé la Terre. De tous les Grands de ce monde, Varda est regardée avec la plus grande révérence et le plus grand amour, du moins chez les Elfes. Ils l’appellent Elbereth et, des ombres de la Terre du Milieu, implorent son nom et l’exaltent dans leurs chants, à l’heure où les étoiles paraissent.

Ulmo est le Seigneur des Eaux. Il est seul. Il ne demeure nulle part longtemps mais se meut à son gré dans toutes les eaux profondes, autour de la Terre et dessous la Terre. Il est le plus puissant après Manwë, et fut aussi son plus grand ami, du temps où le Valinor restait à faire ; après quoi il ne vint plus que rarement aux conseils des Valar, sauf pour débattre de grandes questions. Car il gardait à l’esprit Arda tout entière ; et il n’a jamais eu besoin d’une retraite. Du reste, il n’aime pas déambuler sur la terre ferme et n’a pas coutume de revêtir un corps à la manière de ses pairs. Si des Enfants d’Eru l’apercevaient, ils étaient pris d’épouvante ; car la survenue du Roi de la Mer était terrible, telle une haute vague en marche vers la côte, casque sombre à crête d’écume, cotte de mailles d’argent chatoyant, fondu en ombres vertes. Si les trompettes de Manwë sont éclatantes, la voix d’Ulmo a la profondeur des abysses, que lui seul a jamais contemplés.

Ulmo n’en aime pas moins les Elfes et les Hommes, qu’il n’a jamais abandonnés, pas même lorsqu’ils encoururent la colère des Valar. Il lui arrive de s’avancer sans être vu jusqu’aux rivages de la Terre du Milieu, ou même dans les terres, par les longs bras de mer, afin d’y jouer de ses grands cors, les Ulumúri, faits de coquillage blanc ; et ceux à qui cette musique parvient ne cessent dès lors de l’entendre en leur cœur, et la nostalgie de la mer ne les quitte jamais plus. Mais aux habitants de la Terre du Milieu, Ulmo parle surtout en des voix qui ne s’entendent que dans la musique de l’eau. Car tous les océans, lacs, rivières, fontaines et sources sont gouvernés par lui ; ainsi, disent les Elfes, l’esprit d’Ulmo parcourt toutes les veines du monde. À Ulmo parviennent donc, même dans les profondeurs, toutes les plaintes et tous les chagrins d’Arda, qui autrement resteraient inconnus de Manwë.

Aulë n’est guère moins puissant qu’Ulmo. Sa suzeraineté s’exerce sur toutes les substances dont Arda est faite. Au commencement, il accomplit bien des choses de concert avec Manwë et Ulmo ; et le façonnement de toutes les terres fut son œuvre. Il est forgeron et maître de tous les arts, et il prend plaisir aux ouvrages de métier, si modestes soient-ils, autant qu’aux grands labeurs de jadis. Sont siens les pierres précieuses enfouies dans la Terre et l’or qui brille au creux de la main, autant que la face des montagnes et les bassins des océans. C’est de lui que les Noldor apprirent le plus, et il fut de tout temps leur ami. Melkor était jaloux d’Aulë, car sa pensée et ses pouvoirs étaient commensurables aux siens ; et ils luttèrent longtemps l’un contre l’autre, car toujours Melkor gâtait ou défaisait les travaux d’Aulë, qui se lassa d’endiguer les troubles et les désordres de Melkor. Tous deux désiraient également créer des choses qui leur fussent propres, nouvelles et jamais imaginées par d’autres, et ils aimaient qu’on louât leur habileté. Mais Aulë demeurait fidèle à Eru, et soumettait toutes ses actions à la volonté de ce dernier ; et il n’enviait pas les ouvrages de ses pairs, mais sollicitait leurs conseils et prodiguait les siens. Melkor, cependant, se laissa consumer par l’envie et la haine, jusqu’à ce qu’il ne pût rien inventer sinon en dérision de la pensée d’autrui ; et toutes leurs œuvres, il les détruisait s’il le pouvait.

L’épouse d’Aulë est Yavanna, la Donneuse de Fruits. Elle aime toutes choses qui poussent dans la terre, et porte en son esprit toutes leurs innombrables formes, que ce soient les arbres dressés comme des tours dans les forêts d’antan, la mousse sur les pierres, ou les choses infimes et secrètes qui gisent dans le terreau. Yavanna vient après Varda parmi les Reines des Valar dont on révère le nom. Sous l’apparence d’une femme, elle est grande et drapée de vert ; mais elle revêt parfois d’autres formes. D’aucuns l’ont vue se dresser pareille à un arbre sous le firmament, couronnée par le Soleil ; et toutes ses branches versaient une rosée d’or sur la terre infertile, qui se couvrit de blé vert ; mais les racines de l’arbre baignaient dans les eaux d’Ulmo, et les vents de Manwë chuchotaient parmi ses feuilles. Elle est surnommée Kementári, la Reine de la Terre, dans les langues eldarines.

Les Fëanturi, maîtres des esprits, sont frères, le plus souvent nommés Mandos et Lórien. Mais ce sont là proprement les noms des lieux de leur séjour, leurs noms véritables étant Námo et Irmo.

Námo, l’aîné, vit à Mandos, qui en Valinor se trouve à l’ouest. Il est le gardien des Maisons des Morts, rassembleur des esprits des tués. Il n’oublie rien ; et il sait tout ce qui est à venir, sauf ce qui demeure sous la licence d’Ilúvatar. Il est l’Arbitre des Valar ; mais il ne prononce ses arrêts et jugements qu’à la demande de Manwë. Vairë la Tisseuse est son épouse, elle qui tisse toutes choses jamais contenues dans le Temps en ses toiles historiées ; et les halles de Mandos, qui toujours s’agrandissent au fil des âges, en sont couvertes.

Irmo, le cadet, est maître des visions et des rêves. En Lórien sont ses jardins, au pays des Valar, et ce sont là les plus beaux endroits du monde, habités de nombreux esprits. Estë la douce, qui guérit souffrances et lassitude, est son épouse. Gris est son vêtement ; et elle donne le repos. Elle ne va pas de jour, mais dort sur une île du lac de Lórellin à l’ombre des arbres. Des fontaines d’Irmo et d’Estë, tous les habitants du Valinor tirent rafraîchissement ; et souvent les Valar viennent eux-mêmes en Lórien pour trouver repos et allégeance du fardeau d’Arda.

Plus puissante qu’Estë est la sœur des Fëanturi, Nienna ; elle demeure seule. Elle connaît la tristesse, et pleure chaque blessure qu’Arda a reçue lors du marrissement de Melkor. Si grande était sa peine, au déroulement de la Musique, que son chant se mua en lamentation bien avant qu’elle prît fin ; ainsi la voix du deuil s’entretissa aux thèmes du Monde dès avant son commencement. Mais Nienna ne pleure pas pour elle-même ; et ceux qui l’écoutent apprennent la pitié, et dans l’espoir, l’endurance. Ses halles sont à l’ouest de l’Ouest, aux lisières du monde ; et elle séjourne rarement dans la cité de Valimar où tout est en joie. Elle visite plutôt les halles de Mandos, qui sont proches des siennes ; et tous ceux qui attendent à Mandos l’implorent, car elle conforte l’esprit, et de la douleur elle fait sagesse. Les fenêtres de sa demeure regardent au-dehors des murailles du monde.

À sa force suprême et à ses actes de bravoure se reconnaît Tulkas, surnommé Astaldo, le Vaillant. Il vint en dernier sur Arda, pour aider les Valar dans les premières batailles contre Melkor. Il se plaît à la lutte et aux épreuves de force ; et il ne monte pas à cheval, car il court plus vite que tout ce qui va sur terre, et il est infatigable. Ses cheveux et sa barbe sont dorés, et son teint est vermeil ; ses mains sont ses armes. Peu soucieux du passé ou de l’avenir, il fait un piètre conseiller, mais un brave compagnon. Son épouse est Nessa, la sœur d’Oromë, et elle aussi a la jambe leste et le pas léger. Les cerfs lui sont chers et lui font cortège chaque fois qu’elle se rend dans les solitudes ; mais elle les bat à la course, vive comme une flèche, cheveux au vent. Elle se plaît à la danse, et elle danse à Valimar sur les pelouses d’un vert éternel.

Oromë est un puissant seigneur. S’il est moins fort que Tulkas, il est plus terrible dans son courroux ; alors que Tulkas rit volontiers, au jeu comme à la guerre, et même à la face de Melkor, comme il le fit lors des batailles avant la naissance des Elfes. Dernier arrivé en Valinor, Oromë s’était épris des régions de la Terre du Milieu et ne les laissa qu’à contrecœur ; et il fut un temps où il avait coutume de repasser à l’est avec sa troupe, parcourant les collines et les plaines au-delà des montagnes. Chasseur de monstres et de bêtes féroces, il adore les chevaux et les chiens ; et il chérit tous les arbres, ce pourquoi on l’appelle Aldaron et, chez les Sindar, Tauron, le Seigneur des Forêts. Nahar est le nom de son coursier, sa robe blanche sous le soleil, argentée à la nuit. Le Valaróma est son grand cor, dont la sonnerie rappelle la montée du Soleil en écarlate ou l’éclair déchirant la nuée. Bien au-dessus des cors de sa troupe, on l’entendait dans les bois que Yavanna avait fait pousser en Valinor ; car Oromë y entraînait ses gens et ses bêtes pour la chasse aux créatures maléfiques de Melkor. L’épouse d’Oromë est Vána, la Toujours-Jeune ; elle est la sœur cadette de Yavanna. Toutes fleurs poussent où elle passe et s’ouvrent du moment qu’elle les regarde ; et tous oiseaux gazouillent à sa venue.

Tels sont les noms des Valar et des Valier ; et voilà en bref quelles étaient leur semblances, telles que les Eldar les contemplèrent en Aman. Mais si nobles et belles qu’aient été les formes les révélant aux Enfants d’Ilúvatar, elles ne faisaient que voiler leur puissance et leur majesté. Et s’il n’est dit ici qu’une faible part de tout ce que les Eldar en surent jadis, cela n’est rien auprès de leur être véritable, qui remonte à des espaces et à des époques bien au-delà de notre entendement. Neuf d’entre eux étaient suprêmement puissants et dignes de la plus haute révérence ; mais l’un fut soustrait à leur nombre, et Huit demeurent, les Aratar, les Éminences d’Arda : Manwë et Varda, Ulmo, Yavanna et Aulë, Mandos, Nienna et Oromë. Bien que Manwë soit leur Roi et fort de leur allégeance sous Eru, ils sont égaux en majesté, et sans pairs au regard de tous autres, Valar et Maiar, ou de tout autre ordre envoyé en Eä par Ilúvatar.

Avec les Valar vinrent d’autres esprits dont l’être débuta aussi avant le commencement du Monde, du même ordre que les Valar quoique de moindre rang. Ce sont les Maiar, les gens des Valar, leurs serviteurs et assistants. Leur nombre n’est pas connu des Elfes, et il en est peu qui aient un nom dans aucune des langues des Enfants d’Ilúvatar ; car s’il en va autrement en Aman, sur la Terre du Milieu, les Maiar ont rarement pris une forme visible aux yeux des Elfes et des Hommes.

Parmi les Maiar du Valinor dont les noms figurent dans les récits historiques des Jours Anciens, les plus éminents sont Ilmarë, la servante de Varda, de même qu’Eönwë, le porte-étendard et héraut de Manwë, qui en Arda n’a pas son pareil au maniement des armes. Mais de tous les Maiar, Ossë et Uinen demeurent les mieux connus des Enfants d’Ilúvatar.

Ossë est un vassal d’Ulmo, et il est maître des océans qui baignent les rivages de la Terre du Milieu. Il ne visite pas les profondeurs, mais préfère les côtes et les îles, s’égayant sous les vents de Manwë ; car il aime plus que tout la tempête, et son rire se mêle au rugissement des vagues. Son épouse est Uinen, la Dame des Mers, dont la chevelure parsème tous les océans et rivières qui s’étendent sous le ciel. Elle aime toutes les créatures des eaux salées, et toutes les plantes qui y poussent ; les marins invoquent son nom, car elle peut amener les flots au calme, tempérant les humeurs d’Ossë. Les Númenóréens, qui vécurent longtemps sous sa protection, la vénéraient à l’égal des Valar.

Melkor haïssait la Mer, car il ne pouvait la subjuguer. On dit que, lors du façonnement d’Arda, il tenta d’amener Ossë sous son allégeance, lui promettant toute la puissance d’Ulmo et son royaume entier, s’il consentait à le servir. Ainsi, il y a bien longtemps, la mer connut de grands tumultes qui semèrent la dévastation dans les terres. Mais Uinen, sur la prière d’Aulë, domina Ossë et l’amena devant Ulmo, qui lui pardonna ; et Ossë revint à son allégeance, qu’il ne renia jamais. Ou peu s’en faut ; car le goût de la violence ne le quitta jamais entièrement, et il lui arrive de se laisser emporter sans aucun ordre d’Ulmo, son suzerain. Ainsi, ceux qui demeurent près de la mer ou qui s’embarquent sur des navires peuvent l’aimer, mais ils ne lui font pas confiance.

Melian était le nom d’une Maia au service de Vána et d’Estë ; elle vécut longtemps en Lórien, soignant ces arbres qui fleurissent dans les jardins d’Irmo, avant son arrivée en Terre du Milieu. Le chant des rossignols l’accompagnait où qu’elle allât.

Le plus sage des Maiar était Olórin. Lui aussi vivait en Lórien, mais ses pas le menaient souvent à la demeure de Nienna, de qui il apprit la pitié et la patience.

Concernant Melian, maintes choses sont racontées dans la Quenta Silmarillion. Mais d’Olórin, ce récit ne parle pas ; car s’il aimait les Elfes, il allait parmi eux sans être vu, ou passait pour l’un des leurs ; et eux ne savaient d’où venaient les sublimes visions et les mouvements de sagesse qu’il insufflait en leurs cœurs. Longtemps après, il fut l’ami de tous les Enfants d’Ilúvatar et prit pitié de leurs souffrances ; et ceux qui l’écoutaient s’arrachaient au désespoir et chassaient les phantasmes de l’obscurité.

Dernier de tous vient le nom de Melkor, Lui qui se lève en Puissance. Mais ce nom ne lui est plus reconnu ; et les Noldor qui, chez les Elfes, ont le plus souffert de sa malveillance refusent de le prononcer, et ils le nomment Morgoth, le Sombre Ennemi du Monde. Ilúvatar l’avait doté d’une grande puissance, et il était du même rang que Manwë. Il détenait une part des pouvoirs et des connaissances de tous les autres Valar, mais il les employait à de mauvais desseins, dilapidant ses forces dans l’exercice de la violence et de la tyrannie. Car il convoitait Arda et tout ce qui s’y trouvait, désirant la souveraineté de Manwë et la mainmise sur les domaines de ses pairs.

Déchu de sa splendeur, il sombra dans l’arrogance et bientôt le mépris de toutes choses, fors de lui-même ; un esprit gaspilleur et sans pitié. Du don d’entendement, il fit un artifice pour mieux réduire à sa volonté tout ce dont il souhaitait user, et il se mit à mentir sans vergogne. Il avait commencé en désirant la Lumière, mais, n’ayant pu se l’approprier pour lui seul, il tomba par le feu et le courroux en un grand brasier, jusque dans les Ténèbres. Et des ténèbres, il fit le maître instrument de ses mauvaises œuvres sur Arda, et il y insuffla une peur pour tous les êtres vivants.

Pourtant, sa montée en puissance fut telle qu’en des âges oubliés il se dressa contre Manwë et tous les Valar et, durant de longues années d’Arda, exerça son empire sur la plupart des régions de la Terre. Cependant, il n’était pas seul. Car de nombreux Maiar s’étaient assemblés à lui au temps de sa splendeur, et le suivirent dans sa descente vers les ténèbres ; et d’autres il corrompit et asservit par des mensonges et de traîtres présents. Redoutables entre tous étaient les Valaraukar, esprits de feu, terribles fléaux, démons d’épouvante, qu’en Terre du Milieu l’on nommait Balrogs.

J.R.R. Tolkien

Seigneurs Valar

Dames Valar

À propos de Melkor

À l'origine du monde, 8 seigneurs et 7 dames Valar (Vala au singulier) étaient parmi les plus puissants et les plus nobles. Mais l'un d'eux, Melkor, devint maléfique et fut déchu. Débarrassé de de Melkor, ils se firent appelé les aratar, seigneurs d'Arda. Bien qu'étant égaux en majesté, Manwë fut désigné en tant que leur roi.

Melkor était le plus puissant, détenteur d'une partie du pouvoir de chaque Valar, il n'avait cependant pas la capacité de création mais pouvait modifier ce qui avait été créé. C'est ainsi qu'il corrompu de nombreuses créatures, comme certains Elfes dont les Orques étaient issus. Au commencement, Melkor aspirait à la lumière, mais ne voulant la partager, il sombra dans les ténèbres, méprisant tout ce qui ne venait pas de lui. Il rallia de nombreux Maïar à sa cause et s'efforça d'asservir les enfants d'Ilúvatar. Melkor se fit appeler Morgoth lorsque ses maléfices atteignirent le point de non retour.