J.R.R. Tolkien – Gorge de Helm

3 mars 3019

grimoire

La poterne fut refermée, la porte de fer barrée, et des pierres furent empilées derrière celle-ci. Quand tous furent hors de danger à l’intérieur, Éomer se retourna : « Je vous remercie, Gimli fils de Glóin ! dit-il. Je ne savais pas que vous étiez sorti avec nous. Mais l’hôte inattendu souvent se révèle la meilleure des compagnies. Comment vous êtes-vous retrouvé là ? »

« Je vous avais suivis, histoire de chasser le sommeil, dit Gimli ; mais quand j’ai vu les hommes des collines, j’ai trouvé qu’ils étaient trop gros pour moi, alors je me suis assis contre une pierre pour observer votre jeu d’épée. »

« Il me sera difficile de vous rendre la pareille », dit Éomer.

« Vous pourriez avoir maintes occasions d’ici à la fin de la nuit, dit Gimli en riant. Mais je suis content. Je n’avais plus fendu que du bois depuis la Moria. »


« Deux ! » dit Gimli, tapotant sa hache. Il venait de regagner sa place sur la muraille.

« Deux ? dit Legolas. J’ai fait mieux, même s’il me faut maintenant tâtonner à la recherche de vieilles flèches : les miennes sont épuisées. Il reste que, pour moi, le compte est d’au moins vingt. Mais ce ne sont là que quelques feuilles au milieu d’une forêt. »


Le ciel se dégageait rapidement, et la lune déclinante brillait d’une vive clarté. Mais sa lumière n’apporta que peu d’espoir aux Cavaliers de la Marche. Le nombre de leurs assaillants semblait s’accroître et non diminuer, et d’autres encore montaient de la vallée et se pressaient à travers la brèche. La sortie sur le Rocher ne leur avait valu qu’un bref répit. L’assaut contre les portes redoubla. Au pied de la Muraille de la Gorge, les armées d’Isengard rugissaient comme les flots marins. Orques et hommes des collines fourmillaient d’un bout à l’autre. Des cordes munies de grappins surgissaient par-dessus le parapet, plus vite qu’on ne pouvait les trancher ou les renvoyer au sol. De longues échelles se dressaient par centaines. Beaucoup étaient renversées et jetées bas, mais bien d’autres venaient les remplacer, et les Orques s’y élançaient comme des grands singes des sombres forêts du Sud. Au pied du mur, les morts et les estropiés s’empilaient comme des galets dans la tempête : ces affreux monticules ne cessaient de s’élever, et toujours l’ennemi poursuivait son assaut.

Les hommes du Rohan se fatiguaient. Toutes leurs flèches étaient tirées, tous leurs hasts jetés ; leurs épées étaient ébréchées, leurs boucliers fendus. Trois fois, Aragorn et Éomer les rallièrent, et trois fois, Andúril flamba lors d’une charge désespérée qui repoussa l’ennemi des murs.

Puis une clameur s’éleva derrière eux, à l’intérieur de la Gorge. Des Orques, nageant comme des rats, s’étaient immiscés par le conduit où passait la rivière. Ils s’étaient alors rassemblés dans l’ombre des escarpements, jusqu’à ce que l’assaut du dessus fût au plus violent et que tous les défenseurs ou presque eussent accouru au haut de la muraille. À ce moment, ils passèrent à l’attaque. Certains avaient déjà pénétré entre les mâchoires de la Gorge, sévissant parmi les chevaux et se battant avec les gardes.

Gimli se jeta du haut de la muraille avec un cri féroce qui résonna parmi les rochers. « Khazâd ! Khazâd ! » Il eut bientôt suffisamment d’ouvrage.

« Aï-oï ! cria-t-il. Les Orques sont derrière le mur. Aï-oï ! Allons, Legolas ! Il y en a assez pour nous deux. Khazâd ai-mênu ! »


Gamling le Vieux regarda du haut de la Ferté-au-Cor, entendant la puissante voix du nain dominant le tumulte. « Les Orques sont dans la Gorge ! cria-t-il. Helm ! Helm ! Forth Helmingas ! En avant ! » appela-t-il, dévalant l’escalier du Rocher avec de nombreux hommes de l’Ouestfolde à sa suite.

Leur offensive, violente et soudaine, fit reculer les Orques. Bientôt, ils furent pris dans l’étranglement des parois, et tous furent tués ou précipités dans le gouffre de la Gorge, tombant avec un cri aigu devant les gardiens des grottes secrètes.

« Vingt et un ! » s’écria Gimli. Il porta un coup à deux mains et étendit le dernier Orque à ses pieds. « Maintenant, mon compte dépasse à nouveau celui de maître Legolas. »

« Il faut boucher ce trou à rats, dit Gamling. On dit que les Nains sont habiles avec la pierre. Prêtez-nous assistance, maître ! »

« Nous ne taillons pas la pierre avec des haches de guerre, ni avec nos ongles, dit Gimli. Mais je vais vous aider de mon mieux. »

Ils rassemblèrent toutes les grosses pierres et les fragments de roche qu’ils purent trouver à proximité ; alors, sous les directives de Gimli, les hommes de l’Ouestfolde bloquèrent l’orifice intérieur du canal jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’un étroit goulet. Puis la Rivière de la Gorge, gonflée par la pluie, se mit à bouillonner et à gémir dans son lit obstrué, et elle se répandit peu à peu en étangs froids, d’un escarpement à l’autre.

« Là-haut, nous serons plus au sec, dit Gimli. Venez, Gamling. Allons voir ce qui se passe sur le mur ! »

Il gravit les marches et trouva Legolas auprès d’Aragorn et d’Éomer. L’elfe était en train d’affûter son long poignard. Il y avait un moment d’accalmie, la tentative d’intrusion par le canal ayant été déjouée.

« Vingt et un ! » dit Gimli.

« Bien ! dit Legolas. Mais j’en suis maintenant à deux douzaines. J’ai dû jouer du couteau, ici. »

J.R.R. Tolkien